L’attaque au couteau contre un juif samedi 2 mars à Zurich a délié les langues. Depuis une semaine, une partie de la presse révèle des faits d’antisémitisme dans le milieu scolaire. Ceux portés à la connaissance du public sont principalement situés en Suisse alémanique. Mais en février déjà, le quotidien fribourgeois La Liberté rapportait des saluts nazis et autres propos antisémites survenus dans un cycle d’orientation francophone du chef-lieu. De son côté, la Cicad (Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation) a rendu compte dans son dernier rapport d’actes de même nature.
L’école apparaît comme un lieu privilégié de la manifestation antisémite, même s'il faut se garder de toute généralisation. On s’en inquiète en haut lieu. On se demande comment contrer ce phénomène. On pense qu’en s’en remettant aux bonnes vieilles méthodes, l’éducation, la pédagogie, les choses s’arrangeront. Or, rien n’est moins sûr.
En effet, l’antisémitisme contemporain s’inscrit dans une remise en cause globale de la transmission du passé. La Shoah, au cœur de cette transmission s’agissant du socle de nos valeurs, fait partie des éléments fondateurs mis sur la sellette.
On ne s’explique pas autrement le refus catégorique, à gauche et dans les milieux wokistes, de prendre en compte la tuerie du 7 octobre en la nommant par le seul mot possible: massacre. Sur les réseaux sociaux, des élus et des médias s'y sont refusés dans un premier temps.
Parler de «massacre», c’était ramener les événements qui se sont produits ce jour-là aux pogroms du 19ᵉ siècle, plus tard, à la Shoah, autrement dit, aux raisons mêmes de la création d’Israël. C’est pourquoi l’angoisse existentielle qu’ont ressentie les juifs le 7 octobre devait être niée et même combattue, comme on l’a vu sur les campus américains. La destruction, le 8 mars, à l'Université de Cambridge, par une militante pro-palestinienne, du portrait de Lord Balfour, en plus d’être un acte fascisant, participe pleinement de la volonté d’anéantir les anciennes hiérarchies, celles auxquelles, pourtant, nous devons nos droits les plus chers, entre tous, la liberté de création.
Pour le nouveau monde, le «plus jamais ça» associé à la Shoah est l’arme ultime des boomers, leur dernier moyen de pression pour résister à la nécessaire transformation des sociétés occidentales. Les juifs redeviennent, alors, inévitablement, un problème. En persistant à soutenir l’existence d’Israël, ils se mettent en faute. Le juif est en somme responsable de ce qui lui arrive. Comme de tout temps. Non sans désenchantement, le professeur Jacques Ehrenfreund, titulaire de la chaire d’histoire des juifs et du judaïsme à l'Université de Lausanne, l'explique ce 10 mars dans les colonnes du Temps.
Le problème, et c’est un gros problème, c’est que nous sommes, en Occident, en Suisse, en France ou au Royaume-Uni, pays où le wokisme bat des records de laideur, engagé dans la voie de la redéfinition du monde. Nous entendons faire place à la «diversité» à coup de slogans multicolores appelant à la tolérance, au respect, à l’écoute, à la bienveillance, on en passe, bref, à tout ce qui est en train de ficher le camp. Les universités et les médias voient bien qu’au nom du respect et de la tolérance, l’époque nourrit des foyers d’irrespect, d’intolérance et de violence.
L’attentat antisémite de Zurich n’était pas prévu au programme. L’irruption du réel antisémite dans sa version violente dérange le nouvel ordre occidental en marche.
Et si on s’était trompé? Tant pis, on fonce. Trop tard pour faire marche arrière. De toute façon, on en fait trop sur l’antisémitisme, on ne parle que de ça, comme le disait, dimanche, à tort, une voix des «Beaux Parleurs», sur la RTS. Une voix qui n’avait manifestement pas compris que l'enjeu, au-delà de l’urgente nécessité d’imposer à Israël un Etat palestinien à ses côtés, c’est l’existence même des juifs, comme toujours. Ils sont 18 000 en Suisse, une goutte d'eau. Voulons-nous les faire partir?
Aussi, pour combattre l’antisémitisme, plus que des heures de cours de tolérance à l’école, il conviendrait de revoir la place que nous avons accordée aux idées wokes, à cette entreprise de destruction du commun.