Suisse
Armée

La Suisse pourrait abandonner le drone Hermes à la fin de l’été

Le casse-tête militaire que Martin Pfister doit résoudre avant la fin de l’été.
Le ministre suisse de la Défense, Martin Pfister, doit résoudre un casse-tête avant la fin de l’étéImage: watson

Ce fiasco à 300 millions qui embarrasse l’armée suisse

Les avertissements à propos des risques qui entouraient l'achat d'un drone «de luxe» n'avaient pourtant pas manqué en 2015. Mais malgré tout, une majorité du Parlement fédéral a validé le projet. Il a déjà coûté 300 millions, mais risque désormais de tomber à l'eau.
10.07.2025, 05:3310.07.2025, 05:33
Henry Habegger
Plus de «Suisse»

Il devait faire des miracles. Plus grand, plus silencieux, doté d'une durée d'autonomie supérieure à celle de l'ancien modèle Ranger, adapté à tous les temps, fournissant de bien meilleures images, pouvant être engagé dans presque toutes les circonstances. De plus, grâce à un système d'évitement révolutionnaire, le nouveau drone devait pouvoir voler de jour de manière autonome dans des espaces non sécurisés.

Telles étaient les promesses en 2015, lorsque la majorité bourgeoise du Parlement fédéral a fait passer l'achat de six drones de reconnaissance Hermes 900 du fabricant israélien Elbit pour 250 millions de francs.

Lea autorités civiles devaient en profiter

Ce n'est pas seulement l'armée qui devait profiter de ce super engin, mais aussi les autorités civiles: états-majors de conduite cantonaux, organes de police et de sauvetage – et surtout les gardes-frontière.

Lors du débat sur le programme d'armement de 2015, le conseiller national UDC soleurois Roland Borer déclarait:

«Le drone va épauler en grande partie les gardes-frontière. Cela empêchera que des activités criminelles puissent avoir lieu au mépris de nos frontières»

Le ministre de la Défense, Ueli Maurer affirmait à l'époque qu'on pourrait ainsi surveiller de larges portions du territoire: «Avec six engins, nous pouvons opérer sur deux espaces en même temps, par exemple au Tessin, en Suisse orientale, à Genève ou dans une autre zone.»

Die Drohne Hermes 900 HFE fuer das Aufklaerungsdrohnensystem 15 (ADS 15) wird auf dem Militaerflugplatz in Emmen vorgestellt, am Montag, 9. Dezember 2019. (KEYSTONE/Georgios Kefalas)
Il est imposant et coûteux, mais il ne fonctionne toujours pas correctement. Le Hermes 900 a été présenté en décembre 2019 sur la base d'Emmen.Image: KEYSTONE

Cet appareil miraculeux devait être actif dès 2019. Il ne vole toujours pas à ce jour.

Cinq des six exemplaires ont bel et bien été livrés, mais on ne peut rien en faire. Notamment parce que le tant vanté système anti-collisions ne fonctionne pas. Le drone ne parvient pas à éviter de lui-même des obstacles tels que des parapentistes.

La douane privée de ses yeux

Pour les gardes-frontière, ce retard pose un problème majeur alors que les fraudeurs en tous genres en sont probablement très contents. L'armée ayant mis au rebut son ancien drone, le Ranger, fin 2019, la douane se retrouve, depuis, sans ces précieux alliés.

Interrogé, l'Office fédéral des douanes et de la sécurité des frontières confirme que les drones Hermes n'ont encore jamais été utilisés par les gardes-frontière.

La douane ne souhaite pas s'attarder sur les inconvénients que cela engendre pour la lutte contre le crime organisé et les bandes de malfrats. Un porte-parole se contente d'évoquer les problèmes liés aux «ressources et aux moyens d'intervention disponibles et à des contrôles de routine».

On ne nous dira pas si les gardes-frontière disposent d'alternatives à ces équipements inopérants. Les autorités se refusent à tout commentaire «pour des raisons de tactique d'intervention», explique le porte-parole.

Drones et F-35: même débâcle?

Cette débâcle des drones ressemble à s'y méprendre à celle de l'avion de combat F-35. Un crash annoncé. Dans les deux cas, l'armée et les chantres de l'armement ont fait fi des avertissements de nombreux experts, comme des mises en garde du PS et des Verts.

Au Conseil national, la Verte bernoise Regula Rytz affirmait en 2015:

«Les drones de luxe représentent un risque technique et financier, car on ne peut absolument pas les employer dans notre espace aérien sans avions d'accompagnement»
Regula Rytz, en 2015

La socialiste bernoise Evi Allemann expliquait qu'aucun autre pays n'autorisait un tel système anti-collisions:

«Nous craignons de ne pas pouvoir réaliser comme les engagements flexibles et non accompagnés prévus pour ce drone»
Evi Allemann, en 2015
Evi Allemann, Berner SP Regierungsraetin und Bundesratskandidatin, spricht am Parteitag der SP Region Bern - Mittelland, am Montag, 14. November 2022, in Bern. (KEYSTONE/Peter Schneider)
Evi Allemann avait tenté une mise en garde.Image: keystone

Le ministre de la Défense d'alors, Ueli Maurer, avait à l'inverse prophétisé, plein d'optimisme:

«Ces drones seront les premiers à disposer d'un système d'évitement automatique par rapport aux autres engins volants. Ils pourront donc voler en totale autonomie, c'est technologiquement possible»
Ueli Maurer, en 2015

Roland Borer avait ajouté: «Les experts nous ont garanti que ce système sera prêt pour la production en série dans les prochaines années.»

Le Contrôle fédéral des finances invite à la prudence depuis bien longtemps – autre analogie avec le F-35. Dans le dernier rapport sur la question, publié en janvier 2025, les spécialistes s'interrogent:

«On peut se demander si ce système d'évitement est réalisable dans un avenir prévisible»
Le Contrôle fédéral des finances

Et d'ajouter, inquiet:

«Sans ce système d'évitement, il manquerait une fonctionnalité essentielle et il faudrait alors mobiliser un avion en cas d'intervention de jour dans un espace aérien non contrôlé. De quoi impacter considérablement les futurs coûts d'exploitation.»
Le Contrôle fédéral des finances

Constat accablant

Selon le Contrôle des finances, «les fournisseurs ne sont pas fiables et la direction du projet a du mal à les orienter et à les gérer». Outre le fabricant Elbit, Ruag, entreprise de la Confédération, participe à la construction du système d'évitement. Conclusion: le projet de drones se trouve «en mauvaise posture», et cela résulte «en premier lieu d'une combinaison d'objectifs trop ambitieux, d'une planification et d'un pilotage déficients, ainsi que d'une gestion des risques et de la qualité insuffisante».

Alt Bundesraetin Viola Amherd ist bei der Rede von der scheidende Parteipraesident Gerhard Pfister, Nationalrat Mitte-ZG, geruehrt, an der Delegiertenversammlung der Mitte Partei, am Samstag, 28. Juni ...
Pour Viola Amherd, ex-ministre de la Défense, il n'a jamais été question d'abandonner.Image: keystone

En début d'année, sous la direction de Viola Amherd, le DDPS, le Département fédéral de la défense, se montrait encore déterminé et combatif. Il n'était nullement question d'un renoncement, car près de 300 millions avaient déjà été dépensés. Mais l'arrivée de Martin Pfister au Conseil fédéral à sa place et sa volonté de rompre avec les usages du passé ont changé la donne.

Bundesrat Martin Pfister spricht an einer Medienkonferenz ueber das Entlastungspaket 27 und Budget 2026, am Mittwoch, 25. Juni 2025, im Medienzentrum Bundeshaus in Bern. (KEYSTONE/Anthony Anex)
Martin Pfister.Keystone

Un choix avant la fin de l'été

Samedi dernier, le chef de l'armement, Urs Loher a déclaré sur SRF que l'abandon représentait l'une des trois «variantes». Les deux autres consistent, soit à continuer, c'est-à-dire à injecter de l'argent et croiser les doigts pour que ça fonctionne. Soit à renoncer à «certaines fonctionnalités». Donc peut-être au fameux systèanti-collisions. Loher a toutefois souligné que ces fameuses «fonctionnalités» avaient en fait déjà été payées.

Martin Pfister a jusqu'à la fin de l'été pour choisir l'un de ces trois scénarios.

(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)

On a testé le tennis sur gazon.mp4
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
6 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
6
«America first, Switzerland last?»: Les projets du boss de Novartis intriguent
Le géant pharmaceutique bâlois affiche des résultats largement supérieurs aux attentes. Les menaces qui planent aux Etats-Unis ne semblent guère inquiéter le PDG de Novartis.
Vas Narasimhan, patron de Novartis, a deux mots préférés typiquement américains: strong (fort) et great (formidable). Lors de la présentation des résultats semestriels, il n’a pas manqué d’y recourir. Et il avait de bonnes raisons: depuis le début de l’année, Novartis a vendu pour 27,2 milliards de dollars de médicaments (+12%).
L’article