La semaine dernière, le nouveau ministre de la Défense Martin Pfister a confessé que l'achat de l'avion de combat américain F-35 est lié à des coûts supplémentaires se chiffrant en centaines de millions.
A ses côtés lors de la conférence de presse, Urs Loher, chef de l'Office fédéral de l'armement Armasuisse, a déclaré:
Y compris, en tout dernier recours, une résiliation pure et simple du contrat du F-35.
Mais alors que cette déclaration semblait ferme, Loher s’est aussitôt ravisé, ajoutant:
Ainsi, pour la Suisse, l’achat du F-35 n’est pas seulement nécessaire: il est «absolument indispensable».
Urs Loher justifie cette nécessité impérieuse par des considérations technologiques, des impératifs d’interopérabilité et des délais critiques: «Une nouvelle procédure d’acquisition prendrait tout simplement trop de temps», a expliqué celui qui jouit d’une solide réputation dans le domaine.
Menacer de dénoncer le contrat tout en qualifiant l’avion de chasse d’indispensable dans la même phrase : est-ce vraiment la tactique de négociation que la Suisse entend utiliser pour obtenir un meilleur prix auprès de l’Amérique du président Trump, expert autoproclamé en «deals»?
Une approche pour le moins étrange. La conseillère aux Etats soleuroise et spécialiste des questions de sécurité, Franziska Roth, plaide pour une nouvelle approche qui prenne en compte les drones et les mutations du champ de bataille. Mais elle insiste: «Le ministre Pfister doit entamer, parallèlement aux discussions avec les Etats-Unis, des négociations avec l’Allemagne et la France.»
L'objectif?
Pour Franziska Roth, cette diversification est essentielle afin d’améliorer la position de la Suisse face aux Etats-Unis: disposer d’un moyen de pression, éviter une dépendance totale.
Des représentants des constructeurs européens de chasseurs soulignent que la Suisse dispose bel et bien d’alternatives crédibles au F-35, si elle s’en donne les moyens. Certes, les lignes de production sont actuellement saturées en raison de la forte demande mondiale. Mais selon un expert, des créneaux de livraison peuvent régulièrement se libérer, en décalant d’autres commandes jugées moins urgentes — une pratique courante également dans l’aviation civile.
Une solution transitoire est d’ailleurs envisageable, sur le modèle du Gripen, il y a plus de dix ans: en s’engageant formellement pour un modèle européen, la Suisse pourrait louer des appareils d’occasion du même type en attendant leur livraison.
Selon un proche de l’industrie, cette option est envisageable tant pour le Rafale que pour l’Eurofighter. Les Etats concernés en assureraient la mise à disposition, les fabricants n’étant pas eux-mêmes propriétaires des avions.
La Délégation des finances du Parlement fédéral, composée de six membres et dirigée par le conseiller national UDC Lars Guggisberg, est également intervenue vendredi. Elle est responsable de la surveillance du budget fédéral et tire elle aussi la sonnette d'alarme.
Si le Conseil fédéral a bien lancé des mesures pour répondre aux « défis » du programme Air2030, cela ne suffit pas. Il faut aussi faire toute la lumière sur le « malentendu » autour du prix prétendument fixe du F-35 et, surtout, freiner les surcoûts de plusieurs millions déjà prévisibles dans d’autres volets du projet.
La Délégation évoque notamment des dépassements budgétaires pour les hangars, les simulateurs et l’infrastructure numérique liée au F-35. Elle pointe également une «incertitude financière significative» concernant l’évolution du système de défense aérienne Patriot, également d’origine américaine. Elle exige du Département de la défense des mesures supplémentaires pour limiter les risques, et une planification rigoureuse des différents scénarios possibles.
La commission de sécurité du Conseil des Etats, qui s'est également penchée sur l'affaire du F-35, s'est brièvement exprimée. Le Département de la défense l'aurait informée au sujet «des options possibles pour la suite du programme d'acquisition» et la commission soutient «le Conseil fédéral dans ses négociations diplomatiques». Le gouvernement a fait savoir qu'il veut tenter d'obtenir un meilleur prix auprès de l'administration Trump.
Rappelons qu’en septembre 2020, le peuple suisse a approuvé un budget maximal de six milliards de francs pour l’achat du nouvel avion de combat. Or, l’addition finale pourrait largement dépasser ce montant. Le prix «fixe» tant vanté par l’armée et le gouvernement, et censément garanti par les Etats-Unis, n’aurait en réalité jamais existé.
Sur ce point, nous avons tenté d’obtenir des réponses directes de plusieurs figures clés du projet F-35: Peter Winter, directeur du programme Air2030 et aujourd’hui en poste pour Armasuisse aux Etats-Unis; Peter Merz, chef des Forces aériennes et futur directeur de Skyguide; Darko Savic, ancien chef de projet du nouveau chasseur (désormais chez Pilatus Aircraft); et Bernhard Berset, pilote d’essai en chef, toujours chez Armasuisse.
Aucun n’a répondu. Le service de communication compétent s’est souvent contenté de faire savoir que les personnes concernées «n’étaient pas disponibles». Interroger directement les principaux intéressés ne serait «pas pertinent», selon Armasuisse. Quant à Darko Savic, qui ne travaille plus pour la Confédération, il n’a donné aucune suite.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci