Le rêve immobilier s'effondre et les conséquences sont immenses
En Suisse, les prix des maisons continuent de grimper, tandis que les salaires ne suivent pas. Pour les loyers, la situation est un peu moins mauvaise, mais guère meilleure. En 2022, la banque Raiffeisen mettait déjà en garde contre une pénurie de logements. Aujourd’hui, le pays fait face à un manque criant d'habitations vacantes. Et pour les jeunes familles, le rêve d’accéder à la propriété s’éloigne chaque année un peu plus.
Il serait donc utile que la Suisse construise davantage et plus densément, surtout dans les villes. Le pays s’est doté d’une loi en ce sens en 2014. Mais rien n'y fait, la Suisse construit toujours trop peu aujourd’hui et construira encore trop peu demain.
Raiffeisen prévoit pour les cinq années à venir que la pénurie persiste et une nouvelle hausse de 20% des prix de la propriété. 20% en cinq ans.
Mais il ne s'agit pas d'un phénomène suisse. Ce constat est largement répandu à l’échelle internationale. Même si elle n’est pas toujours aussi grave, l’histoire est partout la même. L’OCDE a récemment organisé une rencontre sur le thème «A la recherche d’un logement abordable», non pas à propos de la Suisse, mais de l’Autriche, de l’Allemagne et des Pays-Bas.
Ces trois pays présentent des marchés immobiliers très différents. Pourtant, dans les trois cas, l’offre de logements progresse trop lentement, autrement dit, on y construit trop peu, surtout dans les villes. Ce qui fait que les coûts du logement y augmentent fortement.
Et la même histoire se répète aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Canada ou en Suède. Dans tous ces pays et comme en Suisse, le prix des maisons augmente bien plus vite que les revenus. On y parle tantôt de «crise du logement», tantôt de «crise de l’accessibilité», d’un simple «défi» ou même d’un «piège immobilier». Et des études menées dans le monde entier le démontrent: les conséquences de ce rêve inaccessible d'accession à la propriété sont considérables.
Travailler moins, consommer plus
Fin novembre, le Financial Times titrait:
Privés de leur rêve de propriété, de jeunes adultes adopteraient ainsi des stratégies financières risquées.
Le Financial Times s’est penché sur une étude intitulée «Laisser tomber»: les effets de la baisse de l’accessibilité au logement sur la consommation, l’effort au travail et les investissements. Deux économistes issus d’universités américaines y dressent, pour les Etats-Unis, un tableau désormais bien connu. Les prix des maisons ont augmenté bien plus vite que les salaires: aujourd’hui, une maison standard coûte presque six fois le revenu annuel moyen. Il y a 40 ans, cette valeur n’était que 3,6 fois.
De nombreuses familles doivent donc renoncer à leur rêve d’accéder un jour à la propriété. Dans un sondage mené aux Etats-Unis, 42% des personnes interrogées, et 46% des répondants de la génération Z, déclaraient que, quels que soient leurs efforts, ils ne pourraient jamais s’offrir la maison de leurs rêves.
Les conséquences
Alors que se passe-t-il lorsque des locataires abandonnent ce rêve? Comment leur mode de vie change-t-il? Les auteurs ont tiré la réponse d’innombrables sources de données – banques, cartes de crédit, enquêtes auprès des consommateurs. Il apparaît que les locataires ne poursuivent pas simplement leur vie comme auparavant:
Et ce, en s’enfonçant. Ils travaillent moins, épargnent moins, consomment davantage. Et lorsqu’ils investissent leur argent, ils prennent des risques plus importants, notamment via les cryptomonnaies. Comme l’indique le titre de l’étude, ces personnes renoncent, elles n’ont plus de grand objectif dans leur vie.
Mais le fait d'abandonner a un prix. Plus tard, ces locataires disposeront d’un patrimoine nettement inférieur à celui qu’ils auraient accumulé s’ils avaient continué de poursuivre un objectif ambitieux, et de travailler comme auparavant. Leur capital serait nettement plus élevé s’ils avaient continué d'épargner et d'investir comme s'ils rêvaient encore d'accéder à la propriété.
Propriété et parentalité vont de pair
Et ce n’est pas tout. L’une des décisions les plus importantes d’une vie est certainement celle d’avoir ou non des enfants. Une étude de la banque centrale du Brésil montre désormais que les prix de l’immobilier influencent fortement cette décision.
L’étude analyse les loteries hypothécaires, très répandues au Brésil. Des familles y mettent leurs économies en commun et attribuent ensuite des prêts hypothécaires entre elles. Les gagnants peuvent ainsi construire leur propre maison. C'est une vraie loterie du rêve immobilier.
Les économistes ont examiné les effets de cette loterie. Les gagnants avaient-ils plus souvent des enfants que les familles pour qui le rêve de devenir propriétaire ne s’était pas réalisé? C’était effectivement le cas. Les familles propriétaires avaient plus souvent des enfants. Et bien davantage. L’effet était particulièrement marqué chez les jeunes adultes de 20 à 25 ans. Lorsqu’ils gagnaient à la loterie, la naissance d’un enfant était 32% plus fréquente et le nombre d’enfants 33% plus élevé.
La conclusion des économistes a donc été la suivante:
A l'inverse, sans propriété, le taux de natalité baisse tout aussi nettement. Même le taux de natalité est donc influencé par le rêve d’accéder à la propriété.
Une étude de l’Université de Toronto parvient à une conclusion similaire pour les Etats-Unis. Le texte dit:
Et il ne s’agit pas seulement de l’accès financier à la propriété, mais également du coût du logement en général, qu’il s’agisse d’achat ou de location.
L’auteur commente ainsi ses résultats:
Traduit de l'allemand par Joel Espi
