Les acteurs du secteur aéronautique ne cessent de le répéter: l'aviation ne polluera plus d'ici 2050. Cela va avoir un coût. En effet, la plupart des experts s'accorde à dire que décarboner le transport aérien fera augmenter le prix des billets. Une étude réalisée par des chercheurs de l'EPFZ et du l'Institut Paul Scherrer, parue début janvier, a tenté de calculer l'ampleur de cette hausse.
Pour ce faire, il faut d'abord déterminer quelle est la meilleure technologie permettant à l'aviation d'atteindre la neutralité climatique. Les solutions le plus souvent évoquées – les biocarburants, ainsi que les avions électriques et à hydrogène – présentent des problèmes actuellement presque insurmontables. Les chercheurs ont donc exploré un autre chemin: le captage du CO2.
Cette technologie consiste à extraire le CO2 présent dans l’atmosphère et le stocker sous terre. Les gaz polluants ainsi retirés de l'air pourraient compenser ceux générés par le kérosène des avions – c'est la première solution explorée par l'étude. La deuxième prévoit de combiner le CO2 capté dans l'atmosphère avec de l'hydrogène pour produire des carburants de synthèse. Ceux-ci sont compatibles avec les moteurs des avions, et n'émettent que le CO2 utilisé pour les fabriquer.
Selon les auteurs de l'étude, la deuxième option est la meilleure: elle permet d'atteindre la neutralité climatique à un coût inférieur que la première. Il s'agirait alors de substituer progressivement le combustible fossile avec ces carburants de synthèse. Et ce, au niveau mondial. Concrètement, cette solution ferait augmenter le prix des billets de 45 à 60%.
«En examinant cette hausse potentielle, il faut tenir compte du fait que les tarifs aériens ont baissé de plus de 40% au cours des 25 dernières années», précise Anthony Patt, professeur de politique climatique à l'EPFZ et coauteur de l'étude.
Bien que ce scénario n'augmenterait que «légèrement» le prix des billets d'avion, notent les auteurs de la recherche, sa mise en pratique paraît tout sauf simple.
De nombreux obstacles se dressent, en effet, sur son chemin. Tout d'abord, «les carburants synthétiques de ce type sont pratiquement inexistants aujourd'hui, à l'exception de quelques start-ups et usines de démonstration», nous explique Nicoletta Brazzola, chercheuse à l'EPFZ et autrice principale de l'étude.
Leur production doit donc augmenter massivement. Sauf qu'elle nécessite énormément d'électricité, qui doit être issue des sources durables. Pour répondre pleinement à la demande mondiale de carburants de synthèse, l'étude estime qu'il faudrait 15 PWh d'électricité d'ici 2050 - presque le double de la production mondiale d'énergie renouvelable en 2021. «Il s'agit d'un défi sans précédent», résume Nicoletta Brazzola.
Un autre problème consiste à alimenter la production de ces combustibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 avec de l'électricité bon marché, poursuit-elle:
Selon les auteurs de l'étude, l'énergie solaire et l'énergie éolienne offrent les coûts les plus bas. Elles nécessitent toutefois beaucoup de place, ce qui soulève d'autres difficultés. «Il est imaginable de produire ces carburants dans des pays disposant d'un énorme potentiel en matière d'énergies renouvelables et d'une faible demande énergétique intérieure, comme le Chili, l'Islande ou Oman», préconise Nicoletta Brazzola.
«Mais il est peu probable que la production soit possible partout, comme en Europe», complète-t-elle. Dans notre continent, la demande est élevée, la place limitée, et le potentiel d'énergie renouvelable supplémentaire diminue à mesure que nous décarbonisons d'autres secteurs.
A la lumière de ces éléments, on peut se demander si cette solution est vraiment faisable. «Cela dépend de la définition du terme faisable», réplique la chercheuse.
Pourtant, d'autres solutions pouvant contribuer à réduire l'impact de l'aviation sur le climat existent, nuance-t-elle. La première consiste tout simplement à voler moins. «Les carburants synthétiques pourraient alors n'être nécessaires qu'à une échelle réduite, ce qui est plus facile à réaliser».
Nicoletta Brazzola rappelle finalement que «l'Europe a fixé des objectifs pour l'utilisation de ces carburants dans l'aviation à partir de cette année». Des accords ont déjà été conclus. C'est le cas de Swiss, qui s'est associée à la start-up suisse Synhelion et qui promet de devenir «la première compagnie aérienne au monde à utiliser du carburant solaire». Affaire à suivre.