Deux salles, deux ambiances pour Philippe Müller. Lundi, le président du Conseil d'Etat bernois recevait le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Mardi soir, il faisait la Une pour sa propension à faire passer en notes de frais l'achat de ses dix-heures et quatre-heures: une banane, un petit pain ou encore un bretzel.
C'est une enquête de Kassensturz de la SRF qui a mis le feu à l'Aar. Celle-ci a obtenu les notes de frais des membres du gouvernement bernois entre 2018 et 2021. Elles révèlent que trois conseillers d'Etat ont invité au restaurant des acteurs du monde économique et politique aux frais du canton: le ministre de la Sécurité Philippe Müller (PLR), celui de l'Economie Christoph Ammann (PS), ainsi que celui de la Santé Pierre Alain Schnegg (UDC). Aucun décompte global des frais engagés par les uns et les autres n'a été révélé.
Ce sont surtout les tout petits montants qui dérangent: Philippe Müller a ainsi facturé un ballon multicéréales bio à 95 centimes et une banane à 20 centimes, sous la mention «ravitaillement». Le bretzel au beurre, 3,20 francs, l'a été à la rubrique «quatre-heures PhM». Est-ce bien raisonnable quand on touche un salaire annuel de 280 000 francs, plus un forfait de 8000 francs pour les frais? Daniel Wyrsch de l'Association du personnel de l'Etat bernois critique ces façons de faire, les qualifiant de «très mesquines et embarrassantes».
Le gouvernement se défend contre ces accusations. Son porte-parole Reto Wüthrich vole au secours du président du Conseil d'Etat, raillé pour avoir facturé ses «brötchen» à la collectivité.
Sur les 300 pages de notes de frais visées, l'émission Kassensturz, qui traite de consommation, n'a trouvé «que deux cas isolés, qui remontent à environ cinq ans et ne sont plus traçables», a déclaré le porte-parole.
Quant aux autres frais, il s'agit de dépenses habituelles et justifiées dans une fonction exécutive au niveau cantonal.
Les conseillers d'Etat ont une certaine latitude dans leurs dépenses liées à leurs fonctions. Le contrôle cantonal des finances n'en examine pas moins la comptabilité de l'administration selon des prescriptions légales.
A côté de Genève, Berne joue petit bras. En 2018, un scandale avait ébranlé l'exécutif de la ville de Genève et conduit à la démission du conseiller administratif Guillaume Barazzone (Le Centre). En un an, il avait déclaré 42 000 francs de frais. De nombreuses dépenses n'avaient aucun rapport avec le travail de conseiller municipal – des cocktails lors d'une soirée karaoké, par exemple.
Un porte-parole du département genevois des Finances tient à saveur l'honneur du canton du bout du lac. Selon lui, il faut toujours prendre en considération, outre le coût de la vie, le montant des frais et le salaire fixe. La rémunération totale à Genève est comparable à celle de Zurich ou de Bâle-Ville. A cela s'ajoute le fait que Genève est «l'un des rares cantons» à rendre publics chaque année les frais des membres du gouvernement, et ce par souci de transparence.
Dans le canton d'Argovie, le conseiller d'Etat Jean-Pierre Gallati (UDC), d'abord élu communal, s'était autrefois battu pour cette même cause contre le syndic de Wohlen. Il ne tient pas s'exprimer sur les récentes révélations concernant le gouvernement bernois. Il serait lui-même réticent au principe des notes de frais. Contrairement à ses collègues bernois, il ne pourrait pas facturer de petits montants – la législation de son canton ne le prévoit pas.
Les salaires et les frais forfaitaires des membres de gouvernements varient fortement d'un canton à l'autre. Avec 34 000 francs par an, Genève arrive en tête des forfaits accordés pour les frais, selon un tour d'horizon effectué par la SRF. Les membres du Conseil d'Etat genevois peuvent en outre faire valoir d'autres dépenses, par exemple pour les repas d'affaires.
Si l'affaire Barazzone reste à ce jour probablement la plus croustillante survenue en Suisse ces dernières années, dans d'autres cantons, les émoluments perçus par des conseillers d'Etat et des parlementaires en plus de leur salaire ont parfois fait jaser. Le Tribunal fédéral a ainsi estimé en 2018 que l'enveloppe réservée aux frais des députés zurichois était trop élevée.
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker