L'enjeu financier est de taille: l'année dernière, les détenteurs d'un abonnement général (AG) ont au total payé 1,2 milliard de francs pour emprunter de manière illimitée le bus, le train ou le bateau. L'organisation de la branche des transports publics (TP) Alliance Swisspass distribue cet argent aux quelque 180 entreprises de transport auprès desquelles l'abonnement est valable.
Des enquêtes papier et en ligne sur les habitudes de voyage de clients choisis au hasard servent de base à la clé de répartition. Pour ce faire, 52 000 clients sont contactés chaque année.
Comme le retour de ces enquêtes est difficile, que la collecte des données est sujette à des erreurs et que les coûts de personnel liés à la saisie des questionnaires papier sont élevés, le secteur des transports publics souhaite désormais introduire une application qui enregistre automatiquement les voyages de certains clients. Sur la plateforme d'acquisition de la Confédération, Alliance Swisspass a récemment mis au concours le projet «Relevé des données de voyage dans les TP au moyen du tracking».
Avec cette nouvelle solution, elle entend localiser au mètre près dans le train, le bus ou le tram les détenteurs d'AG qui ont volontairement participé à l'enquête et donné leur accord pour être suivis.
Pour atteindre cette précision, les développeurs de l'application doivent, selon le cahier des charges que CH Media s'est procuré, puiser dans «le GPS, la triangulation des réseaux mobiles et Wi-Fi, le geofencing, les balises disponibles et les capteurs de mouvement du smartphone».
Ces données, qui sont comparées aux horaires de transports, permettent une documentation complète des itinéraires des passagers. L'application doit aussi explicitement permettre de reconstituer les trajets en bateau, le trafic de remplacement des trains ainsi que les voyages en funiculaire, en train à crémaillère et en téléphérique.
Les balises jouent un rôle important. Ces petits émetteurs Bluetooth envoient toutes les secondes un signal qui permet à la nouvelle application de suivi de localiser la position du téléphone portable. On peut lire, dans le cahier des charges:
Dans les trains CFF, tous les wagons seront équipés de telles balises d'ici fin 2023. Aujourd'hui déjà, ces émetteurs se trouvent dans tous les trains grandes lignes. Actuellement, le secteur se demande s'il ne faudrait pas, à l'avenir, augmenter le nombre d'émetteurs sur l'ensemble du réseau afin de garantir la meilleure couverture possible pour la nouvelle application.
Déterminer l'emplacement du passager au mètre près est décisif pour la collecte des données, explique Thomas Ammann, porte-parole d'Alliance Swisspass, à CH Media:
L'importance accordée à l'exactitude des données se reflète dans l'appel à candidatures. Ainsi, les prestataires qui se portent garants du développement de l'application doivent vérifier en détail un trajet sur dix et signaler les éventuelles incohérences.
Thomas Ammann, souligne qu'avec ce nouveau type de collecte de données, on met en œuvre le mandat légal de saisie d'informations de voyage pour une répartition correcte des recettes. La protection des données a été dès le début un thème important, raison pour laquelle la nouvelle application doit fonctionner selon la maxime de «l'économie de données». Le porte-parole d'Alliance Swisspass insiste:
C'est pourquoi une intégration, par exemple dans l'application des CFF, n'est pas possible. Il souligne que le projet a déjà été présenté au préposé fédéral à la protection des données.
La branche espère que le tracking numérique, qui devrait être utilisé pour la première fois en mai 2023, permettra de réaliser des économies substantielles. Et Alliance Swisspass voit déjà plus loin, toujours dans son cahier des charges:
Cela signifie que la prochaine étape consisterait à sélectionner les propriétaires de cartes journalières ou d'abonnements Seven 25 pour qu'ils dévoilent numériquement leurs habitudes de voyage.
Interrogé, un porte-parole du préposé fédéral à la protection des données, Adrian Lobsiger, confirme que ce dernier a été «informé dans les grandes lignes d'un projet correspondant vers la fin juin». Le préposé à la protection des données aurait alors attiré l'attention sur d'importantes exigences en matière de protection des données, mais n'aurait pas encore évalué ou conseillé le projet.
Si, au cours de la procédure, des indices devaient apparaître selon lesquels la protection des données pourrait être menacée, le protecteur des données se réserve le droit de procéder à un examen approfondi du projet, voire d'engager une procédure formelle de surveillance.
Le fonctionnaire fédéral considère qu'il est particulièrement important d'accorder suffisamment d'attention à la sécurité lors de la saisie et de la transmission, du traitement, du stockage, de la communication et de la destruction des données:
Il est également important de ne collecter que les données absolument nécessaires.
Adrian Lobsiger reconnaît également la base légale de la loi sur le transport de voyageurs, mais souligne que ni Alliance Swisspass ni le développeur de l'application ne peuvent utiliser ou transmettre les données à d'autres fins. «Les participants doivent être informés de manière transparente sur le but du traitement des données.»
Erik Schönenberger, directeur de la Digitalen Gesellschaft, reste prudent. Selon lui, tant que la collecte de données se fait dans une application séparée, dans un but précis et avec l'accord explicite des utilisateurs, cela ne pose pas de problème.
Mais il fait remarquer que l'amas de données ainsi accumulées pourrait bientôt éveiller des convoitises dans la branche et dans la politique – que ce soit pour des prix personnalisés ou pour une gestion du trafic, c'est-à-dire pour ce qu'on appelle la tarification de la mobilité. L'expert assène:
Il s'agit d'empêcher cela afin de continuer à garantir des voyages totalement anonymes dans les transports publics, explique Erik Schönenberger. En se référant aux CFF en difficulté financière, il ajoute:
Les développeurs d'applications de suivi intéressés pourront expliquer, à la mi-octobre, comment ils comptent garantir la protection des données. Ils devront alors présenter leurs offres aux experts d'Alliance Swisspass. La signature du contrat est prévue pour novembre. (bzbasel.ch)
Traduit de l'allemand par Tanja Maeder