Les mots de Smiley, l'une des protagonistes du documentaire «L'Audition» de Lisa Gerig, sont forts. Cette audition, c'est l'entretien que mènent les employés du Secrétariat d'Etat aux Migrations face aux requérants d'asile.
L'objectif pour le SEM est d'évaluer la vraisemblance ainsi que la pertinence de leur déclaration et in fine d'accorder ou non le statut de réfugié à la personne requérante. Lisa Gerig, réalisatrice zurichoise d'origine morgienne, reconstitue les auditions de Pascal, Victoria, Jaffar et Smiley devant les employés du SEM. Un aperçu rare et précieux sur la procédure d'asile en Suisse.
Tout d'abord, félicitations pour votre documentaire aux multiples récompenses, que représentent ces distinctions pour vous?
Merci beaucoup. Oui, le film a gagné trois prix jusqu'à présent, le Prix de la ville de Zurich, le prix de Soleure et le prix du cinéma suisse et je n'aurai jamais pensé que cela aurait été possible. Le public lui a aussi fait un très bon accueil en Suisse alémanique, c'est inespéré.
Pourquoi cet étonnement?
Parce que lorsque je parlais de mon projet de film sur l'asile, on me répondait que ce sujet avait déjà été abordé. On me disait qu'on en avait assez parlé. Certains pensaient que les spectateurs en avaient marre de voir cette thématique, qu'elle était déjà trop présente dans le débat public.
Et cela ne vous a pas dissuadé?
Non, car je considère qu'il est important de parler de la migration et surtout de notre système de gestion de l'asile. En tant que Suisses, nous sommes acteurs de la politique de migration et c'est fondamental de montrer le fonctionnement de ce système.
Les protagonistes qui ont demandé l'asile en Suisse amènent leur expertise et leur vécu dans le film, mais en face, il y a aussi de véritables employés du SEM qui jouent leur propre rôle. Ce n'est donc pas un film sur les réfugiés, mais un film avec les réfugiés, c'est différent.
Comment vous est venue l'idée de parler de ces auditions?
J'ai été bénévole pour une association et je rendais visite dans des prisons de renvois des requérants d'asile. J'ai été profondément marquée par les rencontres que j'y ai faites. Là-bas, les personnes qui attendent d'être renvoyées parlent sans cesse de ces entretiens au SEM.
Je me suis dit que ces entretiens étaient le cœur du processus d'asile, car c'est le moment où la décision de renvoi ou d'octroi de l'asile est prise. Ce qui est écrit dans ces auditions change la vie de ces personnes à jamais.
Vous avez donc rencontré les protagonistes durant vos activités bénévoles?
Non, pas tous. Certains ont un lien direct avec mes activités dans le domaine de l'asile, mais d'autres sont arrivés grâce à mon entourage. De plus, je n'ai pas eu l'impression d'avoir dû les convaincre. On a fait des entretiens exploratoires, on a pris le temps de se voir de nombreuses fois et de se connaître.
Et du côté des employés du SEM?
Ce fut plus difficile. Au début de mon projet, j'ai eu de nombreux témoignages d'employés, mais au final, personne ne voulait figurer dans le film. J'ai fait un entretien au SEM pour parler de mon projet et Christina, une employée, m'a dit qu'elle voulait y participer. C'est la seule personne qui est venue par ce biais. Les autres personnes font partie du réseau d'un des protagonistes et ancien employé au SEM, Demian Cornu.
Vous avez dû avoir l'aval du Secrétariat d'Etat aux Migrations pour travailler avec leurs employés?
Non. Les protagonistes du SEM ont bien entendu informé leur employeur, mais cela s'arrête là. Il n'y pas de droit de regard de la part de la Confédération sur mon film.
En regardant votre film, nous sommes frappés par l'antagonisme entre les récits personnels des requérants et la rigueur dont font preuve les employés du SEM qui les interrogent, on a l'impression d'assister à un interrogatoire plus qu'à un entretien, vous partagez cette impression?
C'est en tout cas ce que répète Pascal, l'un des requérants. Il dit souvent que ce n'était pas un entretien, mais un interrogatoire. Dès le début de l'entretien, il sent de la méfiance et des soupçons en permanence. Les requérants doivent prouver qu'ils sont en train de dire la vérité.
Les questions des employés du SEM peuvent être intrusives, très personnelles et il est difficile, voire impossible pour certains requérants, de parler de ce qu'ils ont subi. Dans le film, Pascal, le requérant qui vient du Cameroun utilise une image très forte qui est celle de la nudité. Il dit qu'il s'est senti «tout nu» en racontant sa vie aux employés du SEM. Les requérants doivent tout raconter, se souvenir de faits précis, de certaines discussions qui ont eu lieu des années auparavant et prouver en quelque sorte la légitimité de leur demande. Pour mes quatre protagonistes, le système d'asile est injuste, il doit être critiqué et changé.
Vous avez donc fait un film militant?
On peut dire que ma motivation personnelle est militante, mais je ne voulais pas faire un film radical, qui soit perçu aussi comme militant.
Le débat sur l'asile est très virulent, émotionnel et instrumentalisé par les politiques. Ce film montre des faits et je pense qu'en voyant le système tel qui l'est, on a envie de le changer.
Dans la seconde partie du documentaire, vous inversez les rôles, ce sont les personnes requérantes qui posent les questions et les employés de SEM qui répondent, pourquoi?
Durant la préparation du film, j'ai demandé aux requérants s'ils pouvaient jouer un rôle différent du leur, lequel ils choisiraient.
Victoria, une des requérantes, m'a dit qu'inverser ce pouvoir représentait un processus de guérison. Pour les employés du SEM, c'était aussi l'occasion de donner leur point de vue sur leur métier et le processus d'asile. On entend d'ailleurs une employée expliquer que l'audition pour le requérant doit être vue comme une chance de faire entendre son histoire, mais pas comme une contrainte.
Quels sont les retours que vous avez eus du public jusqu'à présent?
Ce qu'on me dit souvent c'est que «l'Audition» est un film factuel et qu'il ne veut pas faire passer un message à tout prix.
Je pense qu'il faut accepter cette complexité, qu'il faut regarder précisément et garder l'esprit ouvert.
Eclairer les sujets complexes, c'est un joli compliment n'est-ce pas?
Oui, je suis fière que mon film fasse cet effet auprès du public, qu'il aide à réfléchir.
Vous n'avez pas l'impression de vous adresser à un public conquis d'avance?
C'est vrai que le public qui vient voir ce documentaire s'intéresse à la thématique de l'asile, mais j'aimerais aussi m'adresser à des gens qui ne connaissent pas ce domaine. J'espère pour cela que l'aura du prix du cinéma suisse peut attirer d'autres personnes.
Et du côté des politiques, savez-vous s'ils ont vu votre film?
Le Secrétariat d'Etat aux migrations a montré le documentaire à ses employés et je sais que le conseiller fédéral Beat Jans a vu le film. Quant à Mme Baume-Schneider, elle était présente au prix du cinéma suisse. Je n'ai pas eu vraiment l'occasion de discuter avec les politiques et je n'ai pas eu de retour personnel. J'espère toutefois que le film incite les gens à s'engager pour une société plus ouverte car je constate que le système de l'asile devient de plus en plus dur.