En attendant que la France s’y mette, c’était à Genève d’ouvrir les feux des procès pour viols de Tariq Ramadan, et l’on n’a pas senti la cité de Calvin à l’aise avec ça. Cette façon du voisin français de retourner le colis à l’envoyeur, avant de le reprendre selon toute vraisemblance, quatre procédures étant en cours dans l'Hexagone, tenait de la préséance: à vous l’honneur, après tout, Tariq Ramadan est genevois.
Une bonne partie de la gêne ressentie tout au long du procès visant le prédicateur musulman, l’impatience, sinon l’agressivité du président du tribunal envers les défenseurs de la plaignante, en particulier son conseil français François Zimeray, ont probablement un lien avec cette petite honte d’avoir à juger un homme qui a fait l’essentiel de sa carrière en France, mais qui doit à Genève, singulièrement à des soutiens socialistes de renom, son «immunité locale» dans les années 1990 et 2000. Comme si Genève ne voulait pas être mis face à ses vieilles responsabilités.
Ses responsabilités dans les viols? Non. Il faut dissocier ici le volet idéologique du volet judiciaire. Tariq Ramadan est pour l’heure toujours présumé innocent, et le tribunal correctionnel le déclarera peut-être tel dans son jugement, au bénéfice du doute. Personne, et c'est normal, n’aura rien à y redire, sauf la partie plaignante, qui pourra, le cas échéant, faire appel.
Genève est mal à l’aise parce qu’une forme d’omerta et de complaisance ont couvert, dans la République et canton, le côté volage du petit-fils du fondateur des Frères musulmans et son engagement dans l’islam politique au nom de la défense des opprimés. Le boomerang Ramadan lui revient aujourd'hui en pleine figure.
Un procès politique que ce procès genevois, en raison de ce qui précède, mais aussi parce que le prévenu l’aura, à sa manière, politisé, au début des audiences comme au terme des plaidoiries. Comment? En indiquant au tribunal, pour ainsi dire en lui intimant de ne pas tenir compte du contexte français réputé hostile à son égard, tant dans l’opinion que dans la presse. On a eu l’impression à certains moments que Tariq Ramadan décrivait Genève, sa ville, sa patrie, comme un refuge devant faire accueil au retour du fils prodigue. Sans doute l’intéressé exprimait-il à cette occasion un regret, une émotion face au gâchis dans la vie d'un homme, ce qu'il appelle une «épreuve».
La pique du rédacteur en chef de la chaîne Léman bleu, Jérémy Seydoux, s’inscrit-elle dans ce refus de contaminer Genève avec des problèmes prétendument français? Quelles consoeurs de la presse visait-il dans son tweet du 19 mai, en parlant du «brouhaha vindicatif de certaines folliculaires», des termes péjoratifs? Des Françaises «venues de Paris»? Des Suissesses?
Avant mercredi, pas inutile de replonger dans le procès fascinant de #TariqRamadan grâce au carnet de @Julie_zaugg avec qui j'ai suivi les débats. Elle signe un travail soigné et précis. Loin du brouhaha vindicatif de certaines folliculaires. @lemanbleutv⤵️https://t.co/hPSjZySySE
— Jérémy Seydoux (@jeremyseydoux) May 19, 2023
Il y a là cette illusion que ce procès pouvait ne pas être ce qu’il a été, à savoir hors normes, charriant des non-dits, réveillant des secrets de famille. Or c’était impossible. Faisons l’hypothèse qu’à tout prendre, Tariq Ramadan aurait préféré un procès politique contre lui, quelque chose de grand, de noble, même dans les circonstances d’un viol présumé.
Faisons une autre hypothèse: en se montrant parfois rude avec la partie civile, le tribunal aura peut-être voulu prévenir tout reproche de complaisance de sa part envers la plaignante, dans le cas où il reconnaîtrait le prévenu coupable. Dans le cas inverse, le message envoyé à la France et ses procédures en cours serait rude pour les autres plaignantes. La pression est forte. Réponse mercredi à 11 heures.