«Bah, on sait bien qu'ils n'ont pas dans l'idée d'exterminer des millions de juifs. On ne va pas chambouler tout le Code pénal pour un ou deux connards incultes.» C'est un peu le sentiment qui s'invite dans les veines après la lecture de ce rapport, dévoilé jeudi par l'Office fédéral de la justice (OFJ). Les saluts et symboles nazis, c'est pas super, mais ça reste trop «compliqué» à interdire. Flemme!
Voilà, en substance, la conclusion du boulot commandité par Karin Keller-Sutter, herself. Il y a quelques mois, la conseillère fédérale avait d'ailleurs déclaré que «le gouvernement ne ferme pas les yeux». Il semblerait aussi que l'article 261bis du code pénal fasse déjà bien le boulot, niveau norme pénale antiraciste. Circulez, il n'y a rien à voir?
Souvenez-vous, il y a dix ans, un nazillon condamné pour avoir tendu le bras droit au Grütli (UR), avait finalement été acquitté par le Tribunal fédéral. L'énergumène ne faisait «que montrer sa position d'extrême droite». En septembre 2021, idem: un bras vise fermement le ciel pour grogner contre les mesures anti-Covid à Berne? Après une ordonnance pénale du Ministère public pour «conduite inconvenante», le bonhomme fait opposition et remporte à la bataille.
Comprenez: ces gestes n'abritent aucune véritable arrière-pensée pouvant s'apparenter à une quelconque volonté de prosélytisme.
En Suisse, pour rappel, un symbole nazi n'est pas puni par la loi, mais son usage à des fins de propagande le devient.
On chipote? Absolument.
Chez nous, comme dans le reste du monde, la pandémie a redonné un bon coup de peps à l'idéologie nazie, comparant l'obligation vaccinale et les différents confinements au troisième Reich. Le point Godwin s'est donc largement propagé dans les manifestations, comme sur les réseaux sociaux, pour épingler violemment ce qui était considéré comme une «dictature sanitaire».
De là à faire de la vaccination un camp de travail nazi? «Impfen macht frei» (le vaccin rend libre), étoiles jaunes détournées, chefs d'Etat grimés en Führer, les déclinaisons furent sans fin pendant deux longues années dans les milieux extrémistes. Plus concrètement, en Suisse, les incidents antisémites ont emprunté un ascenseur supersonique en 2021.
Bien sûr, les premiers à lacérer la signification réelle des symboles nazis sont ceux qui les utilisent. Pour frapper vite et bien, il n'y a pas mieux que d'invoquer Adolf Hitler si l'on veut condamner une politique fédérale que l'on considère extrême.
Provocation gratuite, éducation laconique, bêtise, les excuses ne manquent pas, depuis au moins 20 ans, pour tolérer (il n'y a pas d'autre verbe) ces gestes et symboles dans notre pays. De nombreuses voix tentent régulièrement d'enfermer définitivement les représentations nazies à double tour. Sans succès.
Le temps qui passe fait aussi des ravages dans l'exercice de mémoire. Mais que ce soit l'Etat qui se charge officiellement de dégonfler la portée d'un salut hitlérien, simplement parce que c'est «compliqué» de faire autrement, n'est pas un signe encourageant. Comme le disait très justement Jean Birnbaum, éditorialiste au Monde, durant la pandémie:
L'Office fédéral de la justice a beau tourner la problématique dans tous les sens, affirmer que c'est insoluble, botter en touche, il n'en demeure pas moins que l'époque, chaque jour plus violente, n'aspire pas vraiment à un festival de tergiversations administratives en haut lieu.
Réelle propagande ou simple envie d'affirmer ses préférences extrêmes en public, un tatouage renvoyant frontalement à l'Holocauste n'aura jamais la même portée qu'un petit dauphin sur la cheville.