Vendredi matin, la Migros a fait des annonces sismiques qui ont déplacé de quelques centimètres – infimes, mais si abyssaux – notre vision de la «Suissitude». Tout d'abord, elle annonce 1500 «suppressions de poste». Comprendre: certainement à peu près autant de licenciements.
M-Electronics, c'est fini. SportX, c'est fini. Enfin, d'abord vendus, et si on n'y arrive pas... On a bien compris. Hotelplan, pourtant création de Gottlieb Duttweiler, le père fondateur historique de l'entreprise, doit être vendue. Mais que fait l'entreprise préférée des Suisses? Quid de celle qui prenait la responsabilité sociale envers ses employés à cœur?
On aime le logo de la Migros. On aime les pubs de la Migros. On aime mettre les pieds à la Migros, ce petit second chez soi, où on a l'impression d'arpenter les rayons comme les couloirs de sa maison. Les Suisses adorent la Migros. Et la Migros le sait. En aurait-elle profité?
Cette image d'une entreprise familiale, proche des producteurs, a cependant changé depuis quelques décennies. Et ce à tous les étages. Même la structure de base a changé: la constellation de coopératives locales a fait place à Migros Supermarché SA. Une entreprise avec un but désormais clair: réduire les coûts, pour réduire les marges, pour réduire les prix.
Désormais, ce sont les têtes au sommet de la grande tour à Zurich qui sont les maîtres. Les assemblées des délégués, ces genres de Landsgemeinde du commerce de détail, existent encore, mais semblent marginalisées dans la prise de décision.
Il fallait entendre la conférence de presse des dirigeants de Migros, vendredi matin. Elle était lunaire. Les têtes de Migros parlaient de «chance» pour l'avenir, de «soutien» envers les collaborateurs, de «possibilités meilleures».
Les mots «mettre à la porte» ou «liquider»? Nope. «Rien ne change», ont répété les cadors de Migros à de multiples reprises dans leur grande conférence de presse. Les big boss se sont toutefois félicités du chiffre d'affaires qui devrait être stabilisé, voire augmenté. En tentant de noyer le poisson avec un malaise palpable, on sent bien ce qui est jeu: Migros a changé d'état d'esprit.
Toute la novlangue corporate s'est déversée durant une heure où les dieux de la Grande Migros sont descendus de leur Olympe zurichois pour nous annoncer – à nous le petit peuple helvétique qui leur faisait confiance – que oui, ils nous prenaient pour des idiots.
L'année prochaine, la Migros fêtera ses 100 ans. Mais l'esprit de Gottlieb Duttweiler flotte-t-il encore parmi ses successeurs? L'aspect décentralisé, porteur de valeurs et proche des producteurs comme des petites gens semble désormais définitivement appartenir au passé.
Migros, c'est maintenant cette entreprise qui vend du whisky sans alcool à côté des Denner qui eux en vendent tout plein, et du vrai. Cette entreprise qui licencie à tour de bras. Cette entreprise qui centralise.
«La Migros est une entreprise comme les autres», me souffle-t-on à la rédaction. Oui, c'est vrai. Mais elle était différente, autrefois – je crois. On espérait qu'elle l'était restée, peut-être était-ce naïf de continuer à le croire. Mais les choses sont claires, à présent. La Migros nous a trahis.