«Tout le monde déteste la police», affirme l’extrême gauche dans les manifs. Sur un autre plan, on pourrait dire qu’en ce moment, tout le monde est en train de prendre en grippe les activistes du climat. Ça ne se dit pas trop, mais ça s’entend beaucoup. Le dernier coup de Renovate Switzerland au Gothard, durant le week-end de Pâques, est la goutte de colle de trop sur le bitume de notre bienveillante patience.
Car si tout le monde, pour parler globalement encore, est aujourd’hui conscient du danger climatique et d’accord pour le combattre, ce type d’action entrave une liberté préjudiciable à la cause. Cette liberté, c’est celle que nous accorde l’existence: s’évader de temps à autre des soucis du quotidien, fût-ce en voiture et en file indienne dans le tunnel du Gothard. Point de société libre sans contradictions.
Les activistes estiment que toute évasion du réel climatique est une démission, une trahison. Ils pensent que nous devrions être à tout moment de la journée et de la nuit dans la pleine conscience de la tragédie en cours. Cette vision-là est de nature apocalyptique. Elle en évoque d’autres, religieuses. Sauf qu’elle repose sur des prévisions scientifiques. Ce qui la rendrait plus légitime.
Problème pour les militants du climat, leur démonstration ne se traduit pas par des gains électoraux. Certes, pour un certain nombre d’entre eux, les élections sont désormais des obstacles à contourner. Il n’empêche, les Verts stagnent ou reculent dans les derniers scrutins cantonaux. Or, l’«urgence climatique» devrait leur être profitable.
A cela, plusieurs explications possibles.
Les Suisses ont peut-être le sentiment que le Conseil fédéral et le parlement font le job. Le compromis trouvé sur le contre-projet indirect à l’initiative des glaciers, marqué du sceau du volontarisme, rend compte d’une prise de conscience face au changement climatique. Des travaux d’Hercule vont être entrepris. Ce n’est pas rien. Il faudra toutefois l’aval du peuple, le 18 juin, suite au référendum lancé par l’UDC.
Les partis-pris sociétaux estampillés progressistes ou «wokes» des Verts un peu partout en Suisse, commencent à lasser une partie de la population. La grande attention portée à des questions qui réclament toute la tolérance de la société, mais peut-être pas tout son investissement, fatigue, y compris au sein de certaines sections cantonales du parti écologiste, où l’on a noté des démissions, comme à Genève.
Les actions de désobéissance civile, les blocages de routes à la colle, si l’on en comprend le sens, n’en agacent pas moins, un euphémisme. Ce n'est plus Renovate Switzerland, c'est Emmerdate Switzerland. Les élus écologistes font face ici à un dilemme: eux, la branche politique du climat, doivent-ils cautionner les actes de la branche militante, même au prix d’un reflux électoral? Ce serait contradictoire au moment où ils visent un siège au Conseil fédéral.
Ayant parfois donné eux-mêmes dans la désobéissance civile, des élus Verts ne condamnent qu’à grand-peine certaines actions pouvant s’apparenter à du vandalisme. Ainsi, après avoir imprudemment qualifié de «symboliques» et «pacifiques» les déprédations commises par des activistes climatiques sur deux terrains de golf à Vandoeuvres (GE) et Payerne (VD), la conseillère nationale Verte genevoise Delphine Klopfenstein Brogini est revenue sur ses propos prononcés lundi soir au téléjournal de la RTS.
Dans un tweet daté du 18 avril, elle dit s’opposer «à tout acte de vandalisme » et appelle à aller voter en faveur de la loi climat, le 18 juin. Le risque pour les Verts est cependant d’être taxés d’«écotraîtres» par une base «millénariste» voyant avec horreur arriver le jugement dernier de la nature.
Je tiens à clarifier ma position en lien avec mon intervention hier au 19h30 de la RTS. pic.twitter.com/dttjFUBgdp
— Delphine Klopfenstein Broggini (@dklopfensteinb) April 18, 2023
Mais le plus pénible pour les Verts est peut-être à venir. Comment eux, les héritiers des babas-cool sans frontières, se positionneront-ils dans le futur face aux flux migratoires, si ceux-ci devaient s’amplifier sous l'effet de la crise climatique, accroissant une pression sur le bâti et les ressources naturelles? En acceptant une invitation à débattre lancée par le magazine français Valeurs Actuelles, l’hebdomadaire de la droite extrême parlementaire, le journaliste Hugo Clément, défenseur de la cause écologiste, s’est fait traiter de «collabo» de l’extrême droite sur les réseaux. Face à Jordan Bardella, le président du Rassemblement national, il a tenté cette pirouette: si vous n’agissez pas de façon à réduire le réchauffement climatique, vous aurez une augmentation de l’immigration en provenance du Sud.
"Si c'était à refaire je referai exactement la même chose pour une raison très simple : je ne refuse aucune occasion de parler d'écologie. Qui que soit en face et où que ce soit" @hugoclement Journaliste
— C ce soir (@Ccesoir) April 19, 2023
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L’écologie suisse ne sortira sans doute pas indemne de ce débat sensible sur l’immigration climatique, quand certains militants de la décroissance plaident déjà, sans le dire tout le suggérant, pour mettre fin à l'augmentation de la population, synonyme de bétonisation et de grignotage des terres.