«Un inconnu aux yeux de beaucoup, une énigme fédérale que les observateurs tentent de comprendre.» Les mots sont d'Heidi.news pour qualifier Ignazio Cassis, à l'aube de sa présidence, le 5 décembre 2021. Ils résument avec justesse un sentiment partagé par la majorité du peuple suisse. Une méconnaissance, si ce n'est une impopularité, attestée à grands coups de (cruels) sondages d'opinions.
Contrairement à Alain Berset, dont la bobine a été (sur)médiatisée au cours des deux dernières années pandémiques, Ignazio Cassis a trimé dans l'ombre. Sur des questions non moins épineuses et qui n'ont pas manqué, malgré tout, de le plomber sérieusement dans l'opinion publique. L'échec du dossier européen en est l'exemple le plus flagrant.
A peu de choses près, le conflit russo-ukrainien terminait d'entériner ce désamour.
Il faut dire que c'était sacrément mal parti pour le président Cassis: le 24 février 2022, jour qui restera gravé dans l'Histoire comme celui de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les dirigeants du monde entier se succèdent à la tribune. Solennité, dureté de ton et, surtout, condamnations sont de rigueur.
Alors forcément, notre président est attendu au tournant. C'est raté. Mou, flou, indécis, presque effacé, Ignazio Cassis a manqué le virage. Sept minutes de discours qui manquaient cruellement du punch désiré.
Quelques jours plus tard, il l'a reconnu lui-même auprès du SonntagsBlick:
Et pourtant. Après cette triste démonstration de communication ratée, voilà peut-être Cassis de retour, renforcé par les intentions plus clairement définies de son collège.
En décidant de se joindre aux sanctions européennes, le gouvernement a fait un choix difficile, mais nécessaire, souligne un éditorial du Temps.
Un tournant, oui. Mais pas seulement pour la Suisse et pour le Conseil fédéral. Pour l'homme aussi.
Au milieu de la crise, comme Alain Berset avant lui, Ignazio Cassis semble enfin prompt à prendre du relief. N'est-ce pas au cours des crises que les politiciens suisses ont pu révéler leur aura? Berset n'a-t-il pas acquis les faveurs populaires lorsque s'est posé l'immense défi du Covid? A chacun d'en juger.
Le fait est que cette semaine, l'actuel président de la Confédération a (enfin) osé sortir de sa réserve habituelle pour employer des termes forts, dans une tribune signée à l'occasion de la journée de la solidarité.
«Contre la barbarie», affirme-t-il, la Suisse se place «du côté de l’humanité», contre «une folie dévastatrice qui fait voler en éclats tous les principes et les valeurs de notre civilisation».
«Le 24 février, la face du monde a changé, et pas de la meilleure manière. Il nous faut défendre vaillamment et sans relâche la liberté et la démocratie. Cela a un prix. Un prix que la Suisse est prête à assumer.»
S'assumer, oui. Il est temps pour le conseiller fédéral latin - lequel a été, par ailleurs, chaleureusement applaudi sur la Bundesplatz ce week-end. Son discours a précédé un échange avec le président Zelensky. Et ce, même si c'est pour s'attirer les foudres de l'UDC, sans flancher. Ignazio Cassis est prêt.
Une crise internationale combinée au potentiel besoin de se trouver une figurante rassurante, au milieu de ce climat de guerre anxiogène: tout est en place pour permettre au discret Tessinois de sortir de l'ombre - et de devenir le nouveau héros des Suisses.