«Surtout, n’importons pas le conflit israélo-palestinien!» C’est la supplique adressée au bourreau. A ce stade, impossible de revenir en arrière. Il n’y a pas d’échappatoire. Depuis qu'il existe, le conflit israélo-palestinien est là, parmi nous. Lorsque les parties prenantes sont priées de ne pas l'importer, en Suisse ou ailleurs en Europe, c’est pour éviter que la violence en cours là-bas ne se propage ici. Pour le reste, le conflit, ce qui le constitue, est présent sous nos latitudes.
Israël, porté sur les fonts baptismaux par le premier congrès sioniste, à Bâle, en 1897, quand les juifs d’Europe de l’Est fuyaient les pogroms et que ceux de l’Ouest voyaient monter l’antisémitisme dans les nationalismes, est à l'origine une affaire européenne.
C’est à partir de 1945, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, que s’installe, progressivement, structurellement, en Europe, le conflit israélo-palestinien, dit aussi israélo-arabe. Israël n’aurait peut-être pas vu le jour en 1948, ne serait peut-être pas apparu telle une évidence, s’il n’y avait pas eu la Shoah, nonobstant la présence juive en Palestine sous l'Empire ottoman, qui disparaît en 1923, remplacé dans la zone par le mandat britannique. Israël en réparation du génocide. Israël comme assurance-vie pour les juifs persécutés – contrat non tenu par Netanyahou face aux massacreurs du Hamas.
A l'époque, si l’Occident voit dans la création d’Israël une démarche émancipatrice, progressiste, dirait-on aujourd'hui, les Arabes y voient une entreprise colonisatrice, menée au moment même où s’enclenche, pour eux, l’horloge des indépendances. La Naqba, la catastrophe, l’exil forcé de 700 000 Palestiniens lors de la proclamation de l'Etat hébreu en 1948, est le creuset du traumatisme palestinien.
Mais il n’y a pas que la question coloniale, ou nationale, qui entre en compte dans le refus d’Israël par les Arabes. Dans l’argumentaire, la question religieuse, comme ciment identitaire, vaut pour beaucoup. Avant-guerre, le grand mufti de Jérusalem s’opposa à l’installation de juifs en Palestine. Il se lia à l'Allemagne nazie, c’était un antisémite. Pour lui et pour tant d’autres, l’islam, dernière religion révélée, s’imposait aux monothéismes antérieurs. La Palestine est une terre musulmane, les juifs sont un peuple maudit, point! Cette vision suprémaciste est la clé de voûte des islamistes, hier comme aujourd’hui.
Revenons en Europe. L’immigration – appelons-là musulmane pour aller vite, mais les milieux ouvriers sont en première ligne – porte en elle les luttes anticoloniales. A compter des indépendances dans les pays d’origine, la «libération» de la Palestine, pour les Maghrébins installés en Europe, singulièrement en France, est le prochain combat, prolongement de ceux déjà gagnés. Les indépendances acquises au Maghreb ne sauraient être complètes sans la création d’un Etat palestinien.
Le sionisme lui apparaît comme la forme accomplie et un brin perverse du capitalisme, Israël tentant de donner le change avec ses kibboutz, des villages collectivistes. Israël – les juifs? – se met en travers de la révolution. Du rouge, il arrive que certains passent au brun et inversement.
Dans les années 1970, l’extrême gauche pardonne tout ou presque aux terroristes arabes en guerre contre Israël. En 1972, alors jeune trotskiste, Edwy Plenel, qui écrit sous un pseudonyme dans Rouge, l'hebdomadaire de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), appelle à «défendre inconditionnellement» les militants de l'organisation palestinienne Septembre Noir, qui venait alors d'assassiner onze membres de l'équipe olympique israélienne lors d'une prise d'otage pendant les Jeux Olympiques de Munich. En 2018, répondant au quotidien Libération, le cofondateur du site Mediapart assurait que ce texte, «écrit il y a plus de 45 ans, dans un contexte tout autre et alors que j'avais 20 ans, exprime une position que je récuse fermement aujourd'hui». Dont acte.
Alors non, on n’importe pas le conflit israélo-palestinien. Une partie de sa matrice est en Europe. Mais alors qu’il semble se radicaliser comme jamais, il donne aussi l’impression d'être en phase de décomposition, où tout devient permis. Alors oui, gardons-nous d'en importer la violence.