«On est fier du Hamas, on a enfin un acte de résistance»
«On supporte la cause palestinienne de manière inconditionnelle.» Sofiane*, la trentaine, vit en Tunisie. «On condamne toute forme de colonialisme, étant donné qu'on a subi nous aussi le colonialisme. Les Palestiniens défendent leur religion, leur territoire. Nous, les Arabes, on n'en a rien à faire, de la Déclaration Balfour», poursuit-il.
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En 1917, la Déclaration Balfour, du nom du secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères Arthur Balfour, est une lettre dans laquelle le Royaume-Uni, qui sera puissance mandataire en Palestine de 1922 à 1939, se dit en faveur de l’installation d’un foyer national juif sur ce territoire du Levant. Cette missive et tout ce qu'elle implique préfigurent a posteriori le futur Etat d’Israël, créé en 1948.
Face à la réalité de l'Etat d'Israël, Sofiane concède:
Pour notre interlocuteur, la mosquée Al-Aqsa, à Jérusalem, troisième lieu saint de l'islam, est le symbole de la lutte de libération des Palestiniens.
Il ne faut pas compter sur Sofiane pour condamner le massacre perpétré le 7 octobre par le Hamas sur des civils juifs israéliens. Au contraire. Il approuve, sans endosser le terme de massacre.
Les commandos du Hamas ont assassiné des civils sans défense, objecte-t-on. «Pour moi, tous les Israéliens sont des soldats de réserve. Ils sont tous armés et ont des projets de futures guerres», rétorque-t-il. Et les otages? «Ils sont nourris, le Hamas prend soin d’eux.»
Des manifestations de soutien aux Palestiniens ont lieu en Tunisie. Les images terribles de l’hôpital Al-Ahli Arabi touché mardi soir à Gaza par une explosion meurtrière imputée à Israël, qui a démenti, le Hamas annonçant près de 500 morts, un bilan également contesté, ont fait descendre nombreux dans la rue les habitants des pays arabes, plus largement des pays musulmans.
Les régimes arabes ne sont jamais très à l’aise avec les manifestations propalestiniennes. Elles pourraient, craignent-ils, se retourner contre eux. L’ex-président tunisien, l'autocrate Ben Ali, chassé du pouvoir en 2011 lors du Printemps arabe, les avait interdites.
Quand Tunis donnait refuge à Yasser Arafat
La Tunisie, qui vibre pour la Palestine, a été dans le passé la cible de raids israéliens. En 1985, Tsahal bombardait le siège de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine), après son déménagement à la hâte en 1982 de Beyrouth, lors de l’attaque israélienne sur la capitale libanaise cette année-là. Sofiane n’était pas né, mais le souvenir des bombardements de 1985, qui avaient tué 50 Palestiniens et 18 Tunisiens, épargnant le leader historique de l'OLP Yasser Arafat, nourrissent le ressentiment, sinon la haine d’Israël, ce Goliath face auquel le Hamas incarne le David palestinien.
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Sofiane, comme beaucoup de ses compatriotes, voit la main du Mossad derrière l’assassinat, en 2016, à Sfax, une ville de Tunisie, du Tunisien Mohamed Zouari. Cet ingénieur avait supervisé le programme de fabrication d'avions sans pilote pour le compte des Brigades Izz al-Din al-Qassam, la branche armée du Hamas. Lui aussi est un héros de la «résistance».
Non à une «nouvelle Naqba»
Aujourd'hui, Sofiane redoute l'exode des Palestiniens de Gaza sous la pression de l'armée israélienne. Ce serait «une nouvelle Naqba», dit-il, la catastrophe, le nom donné à l'exil forcé de 700 000 Palestiniens lors de la proclamation de l'Etat d'Israël en 1948. Aussi n'est-il pas favorable à l'ouverture de la frontière égyptienne au sud de la bande de Gaza, afin que l'exil soit rendu impossible, malgré les risques qu'un enfermement ferait courir aux Gazaouis.
«La déshumanisation des Palestiniens»
On quitte la Tunisie pour le canton de Vaud. Kader* ne partage en rien l'apologie du Hamas faite par Sofiane. Pour ce diplômé algéro-suisse de l’Ecole polytechnique de Lausanne (EPFL), il ne fait pas de doute que les tueries du Hamas du 7 octobre sont un «massacre». Simplement, il s’interroge. «En Occident, il y a un déséquilibre à plusieurs niveaux dans la perception de la tragédie en cours», note-t-il.
«On a perdu tout semblant d’humanité dans ce conflit»
Kader poursuit: «Pour moi qui soutiens les Palestiniens dans leur quête d’un Etat à côté de celui d’Israël, il n’est pas question d’attaquer le judaïsme ou le peuple juif, mais la politique ultra-répressive de l'Etat hébreu. On ne peut pas justifier le massacre de civils (réd: allusion à l'explosion meurtrière de mardi sur le parking de l’hôpital gazaoui), parce qu’on a soi-même été victime d’un massacre. On a perdu tout semblant d’humanité dans ce conflit.»
Kader, qui sait les souffrances infligées par l’islamisme armé à l’Algérie durant la guerre civile des années 1990, n’aime pas les islamistes du Hamas.
*Prénoms modifiés