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Le chaos au DDPS est un symptôme de faiblesses stratégiques

L'armée suisse a été broyée par trois dogmes

Le chaos au DDPS est un symptôme de faiblesses stratégiques
Au DDPS, Viola Amherd s’est retrouvée broyée entre trois dogmes helvétiques: frein à l’endettement, neutralité et principe de miliceImage: keystone
La Suisse veut-elle des forces militaires auxiliaires, ou une défense constituée de professionnels? La récente débâcle au DDPS montre que la réponse n'est toujours pas claire.
28.02.2025, 21:0128.02.2025, 21:01
Stefan Schmid / ch media
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En 1990, la Suisse comptait plus de 800 chars de combat, 288 avions de chasse, 4900 systèmes d’artillerie et plus de 600 000 soldats actifs. A l’époque de la Guerre froide, la Suisse ne se contentait pas d’avoir une armée, elle était une armée, selon la doctrine du Conseil fédéral. Les alliances étaient claires, les ennemis bien définis.

Aujourd’hui, la situation est bien différente. Les récents scandales qui frappent le DDPS en témoignent. Corruption chez Ruag, départ du chef de l’armée, limogeage du chef des renseignements, démission de la ministre de la Défense, pannes informatiques en série, équipements obsolètes, avions cloués au sol… La question se pose avec insistance: la Suisse dispose-t-elle encore d’une armée opérationnelle?

«Oui, mais seulement pour quelques jours», a ainsi déclaré l'actuel chef de l'armée, Thomas Süssli, qui a d'ailleurs annoncé sa démission il y a quelques jours.

Un monde plus instable, une Suisse vulnérable

Pendant des décennies, la Suisse a réduit progressivement ses effectifs militaires, misant sur une protection indirecte de l’Otan. Mais avec l’invasion russe de l’Ukraine en 2022 et l’évolution chaotique de la politique américaine sous Donald Trump, cette stratégie semble de plus en plus risquée.

Les Etats-Unis, autrefois garants de la stabilité occidentale, prennent désormais des positions surprenantes. Sous Trump, Washington vote aux côtés de la Russie et de la Corée du Nord au Conseil de sécurité de l’ONU. Pendant ce temps, l’Amérique se désengage militairement du Vieux Continent, laissant l’Europe face à son propre destin sécuritaire.

Or, la Suisse continue de sous-investir dans sa défense. Tandis que d’autres pays européens consacrent plus de 2% de leur PIB aux dépenses militaires, Berne peine à atteindre 1%. Malgré les alertes, le Conseil fédéral tarde à définir une stratégie de réarmement claire, préférant s’en tenir à une stricte discipline budgétaire et à une neutralité qui semble figée dans le passé.

Des choix stratégiques contestés

Le problème dépasse la question des moyens. La Suisse n’a pas seulement négligé son budget militaire; elle a aussi échoué à moderniser son armée. Le modèle de milice, pilier historique de la défense nationale, peine à s’adapter aux réalités contemporaines. La coopération avec des armées professionnelles, notamment celles de l’Otan, reste difficile.

«Les formations de milice ont du mal à suivre le rythme des unités professionnelles de l'Otan», souligne l’historien militaire Mauro Mantovani dans son ouvrage L'armée suisse à l'ère des illusions (1990-2023). Selon lui, la neutralité et le principe de milice sont «mystiquement exagérés» et risquent même «de devenir eux-mêmes un risque pour la sécurité», disait-il à la NZZ.

La Suisse n’a pas totalement renoncé à renforcer sa défense, mais ses décisions stratégiques sont contestables. Sous l’impulsion de l’ancienne ministre de la Défense, Viola Amherd, certaines coopérations internationales ont été intensifiées. Pourtant, les réformes de fond restent bloquées par des oppositions politiques: l’UDC refuse toute collaboration avec l’étranger, tandis que la gauche se méfie de l’Otan.

Amherd s’est ainsi retrouvée littéralement broyée entre ces trois dogmes helvétiques:

  • Frein à l’endettement.
  • Neutralité.
  • Principe de milice.

Mais une autre erreur stratégique majeure a été commise: l’orientation unilatérale de l’armée vers les Etats-Unis. Des alternatives européennes crédibles au F-35 existaient, mais le DDPS et Viola Amherd les ont écartées. A Berne, on a préféré miser sur une alliance militaire avec l’Oncle Sam. Or, à présent que l’administration Trump ne distingue plus clairement ses alliés de ses adversaires, cette dépendance devient un risque majeur.

D’une part, sur le plan financier où l’incertitude demeure quant aux délais et aux conditions de livraison des avions et missiles américains. Comme ce fut déjà le cas avec le F/A-18, la Suisse devra probablement engager des coûts supplémentaires pour moderniser ses systèmes. Selon des sources bien informées, il n’y a aucune garantie que Washington fournisse les versions les plus récentes et performantes.

D’une autre part, sur le plan technologique. L’armée suisse est entièrement tributaire de l’US Air Force et de l’US Navy. A tout moment, ces dernières peuvent restreindre l’accès de la Suisse à des ressources stratégiques: cryptologie, données radar avancées pour la défense contre les missiles balistiques et hypersoniques, communications satellitaires. Il suffirait d’un simple caprice de Donald Trump pour que ces systèmes deviennent inaccessibles.

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