Bas les masques. Cette fois, c'est la bonne. Le Conseil fédéral a trucidé, mercredi, les dernières mesures érigées pour contrer la phase aigüe de la pandémie de coronavirus. Certes, le Covid-19 ne s'est pas évaporé et les épidémiologistes lorgnent sur la rentrée de septembre avec une sereine inquiétude, mais la liberté rapplique bel et bien, en Suisse et sans l'ombre d'une blague, le 1er avril 2022. Dès vendredi, les visages s'ouvriront dans les transports publics et les malades ne seront plus assignés à résidence.
Conséquence abrupte de cette levée totale de restrictions? L'obligation, pour tous, de réapprendre à se débrouiller tout seul. Il faudra faire sans. D'abord sans le Conseil fédéral qui, pendant deux ans et demi, a incarné les petites roues d'un tricycle national. Les cantons vont-ils devoir désormais tenir le guidon sans risquer la chute, si un variant se (re)met en travers de la route?
Si notre cher fédéralisme n'en est pas à ses premiers tours de piste, il devra néanmoins reprendre des décisions et un peu de poids. Avec toute la cacophonie qu'un tel retour à la normale (politique) pourra faire naître, par exemple à l'automne.
Mais, en réalité, le pouvoir se refait surtout une place de choix entre les mains de la population. Dès le 1er avril, il nous revient de juger si, oui ou non, passer la nuit en club alors qu'on bouillonne de fièvre est une sage décision. Aglaé Tardin, médecin cantonale genevoise, résume d'ailleurs très bien cette nouvelle réalité chez nos confrères d'Heidi News: «En cas de symptômes, il faut se comporter à l'égard du Covid comme avec la grippe». S'il nous a toujours semblé crétin d'aller transpirer un virus sur une piste de danse, pendant une vingtaine de mois, le Conseil fédéral nous l'a interdit. La responsabilité individuelle est au cœur de cette liberté retrouvée et il faudra probablement un peu d'entraînement et de tolérance pour que la machine ne grince plus.
Il faut dire que les différents niveaux de contraintes jalonnant cette crise ont participé à gainer notre champ décisionnel. «C'est pas moi, c'est Berset», qu'on pouvait alors brandir pour expliquer un quotidien qui nous échappe ou excuser une absence à un dîner de belle-maman. Décider, c'est nourrir notre libre arbitre et avouons qu'on avait tous un peu perdu l'habitude.
Il y a plus d'un mois déjà, les principales mesures disparaissaient avec un mélange de joie et d'appréhension. Des craintes sanitaires, bien sûr. Mais quelques bourrasques de panique existentielle ont également soufflé au moment de lâcher la rampe d'une main moite. Une amie sur WhatsApp le 17 février à l'aube:
On a tendance à l'oublier, mais il faut un certain courage pour apprivoiser toute espèce de liberté, aussi désirée soit-elle. Le philosophe Frédéric Gros l'analysait déjà dans son bouquin Désobéir: «C'est confortable de se dire qu'on n'avait pas le choix. Un des secrets de l'obéissance, c'est qu'obéir nous permet de déposer auprès d'un autre le poids de cette liberté trop lourde à porter.» Et cet «autre», pour les Suisses, ce fut Alain Berset.
Dans la vie (privée, sociale ou professionnelle), il est parfois plus commode de pester contre une autorité un brin envahissante que de se débrouiller sans elle.