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La culture woke s'est pris une raclée ce week-end

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, le leader du parti d'extrême droite espagnol Vox, Santiago Abascal Conde, extrait du sondage suisse Tamedia, de g. à d.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan, le leader du parti d'extrême droite espagnol Vox, Santiago Abascal Conde, extrait du sondage suisse Tamedia, de g. à d. image: montage watson
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La culture woke s'est pris une raclée ce week-end

Les élections en Espagne et en Turquie, un sondage en Suisse, indiquent à divers titres un rejet des thématiques wokes ou LGBT au profit d'une préservation des acquis. Et ce n'est pas forcément une bonne nouvelle pour tout le monde.
30.05.2023, 18:5831.05.2023, 07:41
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Quel rapport entre la victoire d’Erdogan en Turquie, celle de la droite en Espagne et le sondage Tamedia sur les idées wokes en Suisse? Un ras-le-bol, un refus, une lassitude. Un danger aussi. Celui de jeter le bébé des libertés avec le trop-plein d’idéologie déconstructionniste. Disons-le d'emblée: la Turquie d’Erdogan n’est ni l’Espagne, ni la Suisse. La première a gagné dimanche en s'opposant à l’Occident, décrit comme un bloc impérialiste cherchant à propager une vision du monde LGBT. Il n'empêche, on constate des similitudes.

Occident=LGBT

L'acronyme LGBT est devenu un véritable repoussoir civilisationnel dans de nombreux pays, notamment dans ceux ayant l’islam pour religion dominante, quand elle n'est pas d'Etat. Mais il convient de distinguer entre, d’une part, le discours anti-LGBT d’Erdogan, qui ne vise pas, du moins pas encore, les homosexuels, l’homosexualité n’étant pas punie en Turquie et l'ancienne capitale Istanbul restant une destination gay, et, d’autre part, les propos radicalement homophobes de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko, par exemple. Ce dernier promettait en 2022 de durcir la loi réprimant l’homosexualité s’il était élu à la tête du pays en 2024.

L’Espagne et la Suisse ne sont en rien suspectes d’homophobie. Les lois anti-discriminations y sont parmi les plus avancées du monde. Soyons reconnaissants à Pedro Almodovar. Ses films très queers, pensons au génial «Tout sur ma mère», c'était avant que «queer» ne devienne un mot sec, ont jalonné trois décennies de libération des mœurs.

L’Espagne et la Suisse ne sont pas la Turquie, mais le militantisme LGBTQIA+ (un sigle sonnant comme un slogan), qu’on peut prendre ici comme synonyme de woke, commence à lasser et à liguer contre lui des groupes politiques qui ne sont pas homophobes ou transphobes en soi, dans le sens où leurs propos de tribune ne sont pas dirigés contre les personnes homosexuelles ou transgenres, mais contre une politique censée «casser» la société.

Les ouvriers loin devant les non hétérosexuels

Le sondage Tamedia réalisé pour la Tribune de Genève et 24 Heures en Suisse romande est ainsi révélateur d’une lassitude ou d’une indifférence pour le militantisme LGBTQIA+. Les réponses montrent que les problématiques minoritaires de genre, pour aller vite, intéressent peu une majorité de citoyens, plus préoccupée par des handicaps minoritaires recoupant des aspects sociaux, sans distinction de sexe ou de genre: les ouvriers/travailleurs manuels (35%), les retraités (27%), les populations rurales (27%) et les étrangers (23%) sont cités avant les femmes (17%) ou les personnes non hétérosexuelles (14%).

Les plus jeunes générations vivant en Suisse, c'est vrai pour d’autres pays européens, n’en ont pas forcément conscience: elles sont nées avec une cuillère d’argent sociétale dans la bouche

En termes de droits, tout ou presque a été acquis ces trente dernières années. Ce sentiment de bénéficier de tout, aujourd’hui, jusqu’à la possibilité de déclarer un changement de genre à l’état-civil, chose en vigueur en Suisse depuis 2022, explique peut-être le désintérêt relatif, non seulement pour les questions de genre, mais aussi pour celle de l’égalité entre les hommes et les femmes. Cela tranche avec les discours entretenant la flamme du combat dans ces domaines.

Rondelles sociétales

Il faut espérer que les résultats de ce sondage, qui par ailleurs bat en brèche la notion d’appropriation culturelle, n'annoncent pas un retour de bâton dont les gays, lesbiennes et transgenres pâtiraient. On peut penser que telle n'est pas la volonté d'une majorité des sondés, la résistance au wokisme n’étant pas l’apanage des hétérosexuels.

Non, il y a dans les résultats de ce sondage comme une limite posée à la cancel culture, à la déconstruction, au découpage sans fin de la société en rondelles sociétales dont la suite de lettres LGBTQIA+ serait l’illustration.

Et à la fin, c'est qui qui gagne?

Ne nous y trompons pas, et le sondage Tamedia le confirme : l’idéologie woke, dans sa transposition en chair et en os, est minoritaire. Evitons donc de la présenter comme une montagne, pire, comme une obligation à laquelle chacun serait tenu de se soumettre, sous peine d’exclusion sociale. Sauf que c’est ainsi que ses tenants veulent la faire apparaître et y réussissent si bien parfois que cela se traduit par la mise sur la touche de réfractaires.

Surtout, se prévalant d'une supériorité morale, bien décidés à «changer le monde», ayant des vues sur la définition du vivant, ils contribuent à nourrir des majorités de droite alliées à l’extrême droite, à l’image du Parti Populaire (PP) chevillé à Vox l'anti-woke déclaré en Espagne, vainqueurs des élections régionales et municipales de ce week-end. L'adoption, en février, à l'initiative de Podemos, l'un des partis formant l'actuelle majorité de gauche en Espagne, d'une loi permettant de changer de genre dès l'âge de 16 ans, droit étendu aux 12-14 s'ils obtiennent le feu vert de la justice, était combattue par la droite.

Voyons plus loin que les questions de genre. A l’heure de la crise climatique, de la crainte d’une submersion migratoire venant du Sud, d’un pouvoir d’achat et d’accès aux ressources diminuant, d’un sentiment de recul ou de déclin en Occident, la déconstruction des «dernières traditions» et des «derniers repères» est mal accueillie et c’est un euphémisme. Le phénomène des gilets jaunes en France, en 2018-2019, disait quelque chose de cet attachement au peu qu’il reste encore, au maigre acquis.

Flashé à 215 km/h

Une anecdote. Le président sortant de la province d’Ourense, en Galice, José Manuel Baltar, bien que s’étant fait flasher à 215 km/h au volant en avril, infraction assortie de deux convocations au tribunal auxquelles il n’a pas répondu, a été réélu dimanche en Espagne. Inquiétant, car cette réélection est la marque d’une défiance vis-à-vis de l’Etat, comme si la décence commune se retournait en fronde contre des pouvoirs jugés trop abstraits, hors-sol, la cancel culture étant le pompon.

Elections en Espagne et en Turquie, sondage Tamedia: ces trois réalités témoignent chacune à sa façon d’un repli sur des fondamentaux identitaires et d’une envie de commun. A la gauche, en Europe, de se débrouiller pour attirer à elle les électeurs sans renier ses principes universalistes, qu’elle aura négligés en sacrifiant à l’excès aux particularismes.

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