Le chiffre a de quoi faire réagir. D’après une estimation de la Suva que nous avons pu consulter, les assurances sociales suisses et la TVA subissent, chaque année, une fraude d’au moins 60 millions de francs rien que dans le secteur des ferrailleurs.
Ce calcul a été transmis à la branche de la construction, en prévision de la séance de la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national (CER) prévue pour lundi prochain. La CER examinera l’initiative parlementaire de la conseillère nationale UDC Diana Gutjahr, qui vise à lutter contre le travail au noir et la fraude aux assurances sociales.
L’initiative de Gutjahr s'intitule «Recourir à la responsabilité solidaire pour protéger la concurrence et les assurances sociales». Sa revendication centrale? Les entrepreneurs doivent être civilement responsables si leurs sous-traitants ne paient pas les cotisations de sécurité sociale ou s'ils ne respectent pas les salaires nets minimaux et les conditions de travail.
La revendication est explosive et ne plaît évidemment pas à tout le monde. En l’absence de responsabilité solidaire, les entreprises de construction - mais aussi les maîtres d’ouvrage - profitent actuellement du fait que des criminels, tant suisses qu’étrangers, fraudent systématiquement les assurances sociales.
«On ne fait pas assez contre les abus, tels que le travail au noir», nous affirmait Diana Gutjahr il y a un an, lorsqu’elle a déposé son initiative.
Rien que dans la branche des ferrailleurs, le montant de la fraude s’élève à au moins 60 millions de francs. Comment la Suva est-elle arrivée à ce chiffre?
Dans son analyse, la Suva précise qu’une estimation fiable du montant total de la fraude dans l’ensemble du secteur principal et secondaire de la construction n’est pas possible, car elle ne dispose pas de toutes les données nécessaires.
En revanche, une estimation est possible pour la branche des ferrailleurs. La Suva a en effet reçu des indications de la part de ce secteur sur la masse salariale qui devrait en principe être déclarée.
Elle a ensuite comparé ces informations avec ses propres données sur la masse salariale effectivement déclarée. La différence a permis de déterminer «la masse salariale vraisemblablement non déclarée», explique l’assurance.
Concernant le résultat de 60 millions de francs de cotisations sociales et de TVA non payées chaque année, la Suva précise:
Dans une affaire survenue dans le canton d’Argovie et portée devant les tribunaux en 2023, le montant concerné s’élevait à un million de francs. Les travaux auraient été effectués par des sous-traitants, ce qui dispensait l’entreprise principale de verser des cotisations sociales.
Mais ces soi-disant sous-traitants étaient en réalité cinq sociétés fantômes, toutes en liquidation. Aucune n’a payé de cotisations sociales. C’est la Suva qui a découvert la fraude. Mais en général, il n'y a plus rien à récupérer, puisque l'argent n'est plus là et l'entreprise principale n'est pas responsable des actes de ses sous-traitants.
L’an dernier, à Lucerne, les responsables d’une entreprise de ferrailleur bien établie ont été condamnés pour avoir monté pendant des années un système de fraude. 100 ferrailleurs travaillaient pour 27 sous-traitants soi-disant indépendants. Mais il ne s'agissait que de sociétés-écrans sans aucune activité réelle.
Tout était toujours géré par l’entreprise principale, qui a ainsi «économisé» environ 12 millions de francs de cotisations sociales sur une période d’environ six ans. Une masse salariale de 47 millions n’a pas été déclarée. Selon l’acte d’accusation, ces 27 sociétés-écrans ont laissé au moins 6 millions de francs impayés.
L’initiative parlementaire de Diana Gutjahr sera d’abord examinée par le Conseil national, puis par le Conseil des États.
Traduit de l'allemand par Anne Castella