«Portons un toast à la démocratie. Célébrons l'interdiction de l'alcool chez Migros. Chacun à sa manière.» Au moyen d'une série de pages publicitaires disséminées dans les grands journaux dominicaux du pays, Migros a bruyamment festoyé. Un onanisme dégoulinant qui auto-célèbre tout et son contraire. Mais de ce bombage de torse galbé par l'insolence, un seul message demeure:
Pour que Migros considère important d'armer explicitement Denner afin de panser les plaies d'un vote qui prive d'alcool son sage rayonnage, c'est qu'il fallait manifestement réagir vite. En incitant, prestement et crânement, ses clients à remplir leur caddie de gnole, ce n'est pas un «toast» que le géant industriel s'engage à porter à la démocratie, mais un coup. D'abord, aux 630 000 coopérateurs attachés aux valeurs portées par «daddy Duttweiler». Plus grave: cette bravade publicitaire à gros budget griffe définitivement l'identité d'une Migros qui parvenait de moins en moins à se faire passer pour la meilleure alliée de ses précieuses ménagères (qui n'existent plus depuis longtemps) tout en amassant pouvoir et argent.
Au moins nous voilà certains d'une chose: Migros n'a jamais été cette gentille grand-maman des publicités, toujours prompte à nous concocter de bons petits plats pour toute la famille. C'est un géant de l'agroalimentaire sans pitié, probablement vexé d'avoir dû pendre son avenir proche aux seuls bulletins de vote de ses clients. Un requin qui n'a pas encore digéré le fait que son concurrent historique lui soit passé devant. Une «exception démocratique» qui, en 2022, ne fait plus vraiment illusion.
Une mode, d'ailleurs, assez dangereuse. De Trump à Mélenchon, si le résultat des urnes ne plaît pas, il suffit de suggérer un passage en force sur la bande d'arrêt d'urgence. Par cette arrogante campagne publicitaire, Migros se révèle fatiguée de faire semblant. Fatiguée par son propre storytelling hypocrite: elle ne croit plus à ce gentil conte moraliste d'une autre époque, enterré en même temps que son créateur historique.
Mais c'est la structure même de son paquebot, lourdement démocratique, qui semble agacer les dirigeants du mastodonte orange. Pas facile de naviguer vers le profit quand on doit manœuvrer plusieurs coopératives qui ont du caractère. Pour rappel, il y a 21 ans, Coop fusionnait ses 14 coopératives régionales et Coop Suisse en une seule et même entreprise. «Cette restructuration nous permet d'avancer et de grandir plus vite», racontait l'ancien directeur Hansueli Loosli.
Mais qu'on ne s'y trompe pas: cette campagne de pub est réussie. Pire: elle est brillante. Cynique, certes, mais brillante. Il a suffi que les citoyens s'expriment un peu trop fort pour que le géant décide de faire, enfin, son coming out. On souhaite donc la bienvenue à Migros dans le monde réel.
Nous, pour fêter ça, on débouchera dès ce soir quelques bonnes bouteilles de vignerons locaux... chez Fooby. (Désolé.)