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Adoptions illégales en Suisse: «On pensait sauver ces enfants»

Des enfants étrangers ont été adoptés illégalement en Suisse. Interview de Sitara Chamot coordinatrice du Bureau d'Aide à la Recherche des Origines.
Des enfants étrangers ont été adoptés illégalement en Suisse. Interview de Sitara Chamot coordinatrice du Bureau d'Aide à la Recherche des Origines.montage watson

Adoptions illégales en Suisse: «A l'époque, on pensait sauver ces enfants»

Le 8 décembre 2023, le Conseil fédéral a révélé les résultats d'une étude sur les adoptions d’enfants étrangers en Suisse. Le rapport met à jour des irrégularités fréquentes dans le processus d'adoption et pousse l'exécutif à vouloir réviser le droit international de l'adoption.
20.12.2023, 18:4921.12.2023, 08:18
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Le Conseil fédéral n'en a pas fini de la question des adoptions illégales. En effet, après un rapport choc publié en 2020 qui a révélé les pratiques illégales et parfois mafieuses des intermédiaires privés et des autorités sri-lankaises dans les années 1980, l'exécutif a rendu publiques, début décembre, les conclusions d'une seconde étude portant, cette fois-ci, sur les adoptions d'enfants provenant de dix autres pays entre 1970 et 1990. Cette étude menée par la Haute école zurichoise spécialisée en sciences appliquées (ZHAW) affirme:

«Des indices tendent également à montrer l’existence de pratiques illégales dans ces pays, de la traite d’enfants, de la falsification de documents et de fausses indications d’origine.»

Que s'est-il passé? Quel a été le rôle de la Suisse? Quelles sont les responsabilités? watson s'est entretenu avec Sitara Chamot, coordinatrice du Bureau d'Aide à la Recherche des Origines (BARO) qui accompagne des adultes adoptés.

Pour en savoir plus sur le rapport👇🏽

Vendredi 8 décembre, le Conseil fédéral a communiqué sur le rapport faisant état d'irrégularités en matière d'adoptions internationales commises dans le passé. Qu'elle a été votre réaction face à cette communication?
Disons que ce ne sont pas de grandes révélations, pour moi qui travaille dans l'accompagnement des personnes adoptées depuis une dizaine d'années, ce que montre ce rapport n'a pas été une surprise. Evidemment, on regrette ces événements et le rôle joué par les autorités suisses qui ont parfois fermé les yeux, mais nous sommes satisfaits que cette étude d'ampleur ait été commandée par le Conseil fédéral.

Sitara Chamot coordinatrice association BARO
Sitara Chamot, coordinatrice du Bureau d'Aide à la Recherche des Origines

Quelles étaient les irrégularités constatées?
Elles sont multiples. Concrètement, il peut s'agir de mensonges, d'intermédiaires qui veulent donner l'enfant en adoption internationale et qui trompent sa famille d'origine en disant que celui-ci ira en pensionnat ou à l'école par exemple.

«On falsifiait des documents,on créait de fausses cartes d'identité pour l'enfant ou carrément de faux actes de naissance»

Dans certains pays, il y avait des réseaux qui étaient de mèche avec des soi-disant orphelinats où les enfants «attendaient» d'être adoptés. Certaines irrégularités constatées dans le rapport sont flagrantes comme les falsifications de documents, mais d'autres sont difficiles à identifier comme les mensonges ou les arguments donnés aux familles pour que l'enfant soit placé dans des institutions et par la suite mis à l'adoption de manière illégale.

Le rapport constate aussi que les autorités ont fait preuve d'une certaine «souplesse» à l'entrée des enfants adoptés en Suisse, faisant fi parfois des irrégularités, comment l'expliquez-vous?
Vous savez, c'est bien plus complexe que cela. La plupart des enfants arrivés en Suisse avaient des autorisations pour le départ de leur pays d'origine. Dans le cas sri-lankais, par exemple, certains parents adoptifs étaient en possession de documents officiels émis par le pays d'origine, il n'était pas envisageable de la part des autorités suisses de remettre en question ces documents sans causer un incident diplomatique. Mais pour en revenir aux nouveaux pays qui figurent sur ce rapport, on pointe plutôt un certain «pragmatisme » des autorités suisses.

«On pensait sincèrement que les enfants seraient bien mieux en Suisse que dans leur pays d'origine»

On cherchait alors des «solutions» et on faisait du cas par cas pour autoriser ces enfants à entrer sur le territoire helvétique. Dans les années 80, on partait d'une croyance fondamentale, celle que l'on faisait quelque chose de bien en voulant «sauver» ces enfants. Avec le recul, peut-être qu'on aurait pu faire autrement et leur permettre de vivre avec les membres de leur famille dans leur pays d'origine, mais ce n'était pas la façon de voir de l'époque.

Qu'est-ce que le BARO?
Le Bureau d’Aide à la Recherche des Origines répond aux besoins d’information et d’accompagnement d’adultes adopté.e.s d’un pays étranger ou en Suisse, par une approche professionnelle, globale, multidisciplinaire et intercantonale, gratuite et ouverte à toute personne adoptée. Les services de BARO ne sont pas limités dans le temps; la personne adoptée peut être accueillie pour renouer avec le puzzle de son histoire tout au long de son existence.

Les autorités helvétiques voulaient donc «bien faire», si je peux employer ce terme?
En quelque sorte, oui, c'était un schéma de pensée de l'époque. Pour les parents adoptifs et les autorités, il n'y avait pas lieu de trop questionner certains documents incomplets ou manquants, car au final, la croyance voulait que l'enfant adopté ait une meilleure vie en Suisse. Cette vision était d'ailleurs la même dans tous les pays adoptants.

Le rapport égratigne aussi les parents adoptifs qui auraient fait pression sur les autorités suisses pour faire avancer leur dossier ou pour valider un dossier incomplet, qu'en pensez-vous?
Je pense que le rapport accable trop les parents adoptifs et je ne trouve pas cela juste. Il faut rappeler qu'à l'époque les malversations des parents adoptifs sont rares. Je pense qu'ils ont aussi été victimes de certains intermédiaires peu scrupuleux.

«On parle quand même d'une époque où la PMA n'existait pas. Les couples qui ne pouvaient pas avoir d'enfants et qui faisaient appel à l'adoption internationale étaient vulnérables»

Certains diront que j'excuse beaucoup les parents adoptifs, mais je pense qu'ils faisaient simplement ce que les intermédiaires et les autorités sur place leur demandaient. Je me répète un peu mais à l'époque, l'idéologie n'était pas centrée sur l'intérêt supérieur de l'enfant, on pensait qu'on lui offrait une vie meilleure tout simplement. D'ailleurs l'enfant adopté acquiert le nom de ses parents adoptifs, voire un nouveau prénom, c'est une nouvelle identité qu'on lui donne.

Quel a été l'impact du rapport mandaté par le Conseil fédéral aujourd'hui?
Il est énorme en effet. Dans le cas du rapport de 2020 sur les adoptions illégales d'enfants du Sri Lanka, les personnes adoptées se demandent si leurs parents adoptifs ne les avaient tout simplement pas achetées. Cela peut éveiller aussi des envies de connaître ses origines alors qu'au départ on n'y avait pas pensé. D'être confronté à ce doute remet en question toutes tes relations avec ta famille adoptive. Personne ne pensait que ces enfants rechercheraient un jour leurs origines.

Après un tel rapport et la révélation de ces irrégularités, pensez-vous que l'adoption internationale devrait être remise en question?
Il y a des personnes adoptées qui sont virulentes sur ce sujet et qui veulent interdire l'adoption internationale. Concernant notre association, nous sommes plus nuancés. La plupart des personnes adoptées que j'ai rencontrées ne souhaitent pas seulement trouver leur parent biologique, mais aussi connaître leur histoire. Quel est mon parcours, que s'est-il passé pour que ma mère ne puisse plus m'élever? Dans quelles conditions je vivais?

«Je pense qu'au lieu de condamner l'adoption internationale, il faut ouvrir le dialogue, mieux préparer les parents à l'adoption et renforcer la surveillance des procédures»

Je suis moi-même adoptée et dans ma famille cela s'est bien passé. Je pense que le principal questionnement réside dans la croyance de l'époque, le fameux «l'enfant sera mieux en Suisse que dans son pays d'origine». La vie des adultes ayant été adoptés n'est pas forcément mieux ici, elle est juste différente de ce qu'elle aurait été dans leur pays d'origine.

Certaines associations estiment que les regrets de la Confédération ne sont pas suffisants et qu'elles attendent des excuses officielles, c'est nécessaire pour clore ce chapitre?
Nous sommes également plus nuancés sur cette question. Les associations dont vous me parlez sont constituées de personnes qui ont découvert qu'elles avaient été adoptées illégalement, elles ont certaines revendications et je comprends tout à fait leur position. L'association BARO n'a pas été constituée dans cette optique et l'expression des regrets du Conseil fédéral est déjà importante, mais insuffisante dans le sens où elle ne présente pas de solution concrète pour les personnes concernées. J'aimerais aussi nuancer les chiffres qui sont apparus dans certains médias, nous parlons bien de 8000 autorisations d'entrées en Suisse et non de 8000 adoptions illégales, c'est très différent. Je trouve que l'existence même du rapport est salutaire pour notre société et qu'il permet de faire connaître cette thématique qui est largement méconnue du grand public.

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