Alors que la cinquième vague pandémique déferle sur la Suisse, une catégorie de la population est particulièrement touchée: les plus jeunes. Dans presque tous les cantons romands, plus de 30% des personnes en quarantaine sont des enfants. A Fribourg, ce pourcentage s'élève même à 59%, selon des chiffres publiés mercredi dernier par la RTS. Moins vaccinés, voire pas du tout avant 12 ans, les enfants contribuent à la retransmission du virus. Faut-il s'en inquiéter? Les réponses d'Alessandro Diana, vaccinologue et responsable du Centre de Pédiatrie de la Clinique des Grangettes (GE).
Comment doit-on interpréter ces chiffres?
Alessandro Diana: Plusieurs ingrédients permettent d'expliquer cette situation, qu'on avait déjà prévue en été. Avec l'arrivée de l'hiver, les gens sont plus souvent à l'intérieur, où le risque d'être contaminé augmente de 20 fois par rapport à l'extérieur. Les écoliers ne portent pas de masque, et les locaux sont moins souvent aérés. De plus, les moins de 12 ans ne sont pas vaccinés, alors que le virus continue de faire son travail. A partir d'un moment, c'est mathématique.
De plus en plus d'enfants sont infectés en Suisse. Que risquent-ils?
Dans la plupart des cas, il n'y a pas de complications. C'est un peu comme une varicelle: généralement, cela se passe bien.
Ils peuvent tout de même infecter les adultes...
Oui, leur rôle dans la retransmission du virus est beaucoup plus important de ce que l'on pensait au début de la pandémie. Aujourd'hui, il n'est plus remis en cause. Des études montrent que le danger d'attraper le Covid-19 augmente de 30% lorsqu’on a un collégien à la maison. Et c'est bien là le problème. Pour revenir au parallèle avec la varicelle: si elle n'est généralement pas dangereuse pour un enfant, elle peut être plus compliquée lorsqu'un adulte l'attrape.
Comment résoudre cette situation?
Pour répondre à cette question, il faut d'abord savoir quel est notre objectif en termes de santé publique. En Suisse, la stratégie des autorités consiste à préserver le système hospitalier de la surcharge. Comme les enfants ne développent que rarement des formes graves de la maladie, ils ne risquent pas de submerger les hôpitaux. Et contrairement aux adultes, ils ne peuvent pas se protéger grâce au vaccin. La stratégie vise plutôt à convaincre les citoyens qui ne sont pas encore vaccinés.
Actuellement, seules les personnes de plus de 12 ans peuvent recevoir leur dose en Suisse. Devrait-on vacciner tous les enfants?
Oui, mais pas de manière systématique. Personnellement, je proposerais une sérologie pré-vaccinale aux 5-15 ans. C'est ce que je pratique d'ailleurs dans mon cabinet avec les personnes qui peuvent recevoir le vaccin aujourd'hui. Voici comment cela fonctionne. Si la sérologie est positive, cela signifie que la personne est bien protégée contre le virus. Elle peut donc décider de ne pas se faire vacciner ou, pour être encore mieux protégée, de se faire administrer une seule dose. Mais si la sérologie est négative, une chose est sûre: la personne sera, tôt ou tard, exposée au virus, par le biais du vaccin ou d'une infection. Elle peut donc décider, à ce stade et en toute connaissance de cause, si elle souhaite se faire vacciner.
Il s'agit donc d'une vaccination ciblée et basée sur une évaluation du risque individualisée. Ce qui signifie qu'on peut laisser tranquilles ceux qui sont déjà protégés. D'après mon expérience, c'est une méthode efficace. Aujourd'hui, je constate que les adolescents sont très indécis.
En attendant cela, que pensez-vous des tests répétitifs dans les écoles?
Mener des tests répétitifs faisait sens au début de la pandémie, quand le vaccin n'était pas encore disponible et on voulait contenir la circulation du virus. Aujourd'hui, c'est beaucoup moins utile, car le virus est partout. D'autant plus qu'un dépistage massif comporte beaucoup d'inconvénients. Qui dit test dit quarantaine, et si cela tombe sur un enfant, cela veut dire que les parents doivent aussi s'organiser pour rester à la maison. C'est très compliqué.
Et qu'en est-il du port du masque?
Je crois qu'on pourrait élargir le port du masque aux enfants. En Suisse, il s'agit d'un sujet sensible. Beaucoup d'experts le jugent traumatisant, mais on peut se poser la question de savoir si c'est plus traumatisant qu'un parent à l'hôpital. En Italie, le masque est obligatoire à partir de l'âge de quatre ans, et ça ne scandalise pas plus que ça. Là-bas, les enfants ont beaucoup plus été choqués par la mort de leurs grands-parents. Aux Etats-Unis, le masque est obligatoire depuis l'âge de deux ans. A mon avis, on aurait pu anticiper cette situation en mettant un masque aux enfants dès cet été.