Pensez-vous que les femmes ont un rapport particulier à la retraite?
Catherine (anonyme): Oui, les femmes entretiennent un rapport spécial avec la retraite, dans la mesure où, pendant longtemps, elles ont été confinées à la maison, sans retraite, sinon celle de leur mari.
Avez-vous observé, dans votre famille, ce rapport différencié à la retraite entre hommes et femmes?
Ce que j’ai pu observer, ce sont plus des inégalités entre femmes, par exemple entre ma mère et ma belle-mère. Née en 1926, ma mère a travaillé toute sa vie, dès l’âge de 19 ans, comme comptable, jusqu’à sa retraite, à 64 ans. Divorcée, elle a eu une petite retraite et aurait eu bien besoin d’un complément. Comme elle n’avait pas les moyens de cotiser à un troisième pilier et comme l’obligation du deuxième pilier, celui de la prévoyance professionnelle, était arrivé tard dans son cas (réd: les trois piliers ont été inscrits dans la Constitution en 1972), elle a dû se tourner vers l’aide sociale pour avoir ce complément qui lui permettait de vivre.
Et votre belle-mère?
Elle est venue de l’étranger avec son mari, ils se sont installés en Suisse. Son mari avait un bon travail. Elle est devenue veuve. Elle avait entre-temps commencé à travailler, mais assez tardivement. Elle a eu une très bonne retraite, du fait qu’elle avait eu un bon salaire et qu’elle avait pu cumuler sa retraite et sa rente de veuve.
En ce qui vous concerne, quand avez-vous commencé à cotiser pour l’AVS?
Comme beaucoup de femmes de mon âge j’imagine, il y a eu des moments où je n’ai pas travaillé, si bien que j’ai eu des trous dans mes cotisations retraite.
J’ai repris ensuite le travail, mais pas à plein-temps, je faisais des remplacements. Le seul travail véritablement régulier, c’est peut-être celui que j’effectue actuellement dans la restauration, depuis treize ans. Il faut dire que mon patron, c’est mon fils (sourire).
Etes-vous pour ou contre la retraite des femmes à 65 ans, contre 64 actuellement?
Absolument contre, par solidarité envers les femmes et puis parce que l’AVS, c’est quand même un pilier étatique. Il ne faut pas perdre de vue que c’est l’Etat qui, avec nos impôts, est censé nous permettre de vivre décemment dans un pays plutôt riche et qui sait où prendre l’argent lorsqu'il en a besoin. J’estime qu’on peut non seulement conserver, mais aussi augmenter l’AVS pour tout le monde.
L’argument des partisans de la réforme étant que plus longtemps on cotise, plus on garantit le financement de la retraite.
Je ne vois pas les choses comme ça. L’AVS est une assurance obéissant à un système de répartition. Mon mari, qui a un bon salaire, cotise beaucoup à l’AVS, mais ce qu’il percevra une fois retraité, sera peu au regard de la somme à laquelle il pourrait théoriquement prétendre. Moi qui ai un petit salaire, je cotise peu et j’aurai une petite retraite. Ce que je demande, c’est qu’on répartisse l’argent de la retraite de façon un peu plus équitable.
Une fois vous et votre mari à la retraite, vous toucherez deux retraites…
Non, une retraite et demie, car nous sommes mariés. C’est pour cela que des tas de couples songent à divorcer à l’approche de la retraite, de façon à pouvoir, dans les faits, cumuler deux retraites pleines. Ma sœur, par exemple, est mariée. Elle a pris une retraite anticipée. Son mari est un récent retraité. Elle perd 1000 francs sur ce qu’elle pourrait en principe toucher. C’est tout de même beaucoup.
Avez-vous déjà calculé ce que vous allez percevoir à la retraite?
Non, pas encore.
Parce que cette perspective a quelque chose d'angoissant?
Maintenant, j’ai un mari qui gagne bien sa vie, j’ai de la chance. D’une manière générale, j’ai de la chance: je suis née alors que les femmes avaient le droit de vote, j’ai eu accès à la contraception, j’ai eu le droit d’avorter, j’ai pu faire des études, choisir mon mari, décider d’avoir des enfants ou pas. Je n’ai eu aucun combat à mener dans ma vie. C’est quand même énorme, par rapport au patriarcat qu’on a subi avant cela.
Prenez-vous cette situation, le fait que vous dépendiez en quelque sorte de votre mari pour avoir une retraite décente, avec fatalité?
Non, ce n’est pas une fatalité, c’est une question de culture. Et la culture, on la fabrique chaque jour. C’est culturellement qu’il faut changer la donne. Je pense ici à une meilleure répartition des tâches ménagères et de l’éducation des enfants. C’est une question d’équité et de justice, pas d’égalité. Les hommes et les femmes ne sont pas faits pareillement, vous et moi n’avons pas les mêmes gènes.
Vous pensez que les femmes doivent pouvoir partir à la retraite à 64 ans parce qu’elles sont physiquement plus faibles que les hommes?
Avez-vous déjà songé à passer votre retraite dans un pays moins cher que la Suisse?