En refusant de nommer le Canadien Eric Bauce au poste de recteur de l’Université de Genève (Unige), le Conseil d’Etat genevois a ouvert une crise au sein de l’institution académique. Une crise, non seulement de succession, mais aussi de confiance. Eric Bauce, auparavant vice-recteur de l’Université Laval, à Québec, 43 000 étudiants, avait pourtant été plébiscité par l’Assemblée de l’Unige, une structure créée en 2009, dont l’une des attributions est de désigner les dirigeants de l’alma mater, la décision finale incombant toutefois au Conseil d’Etat. Lequel a donc désavoué ladite Assemblée.
Le gouvernement cantonal a estimé que le poste de recteur, au moment où la Suisse est contrainte de négocier pied à pied des partenariats dans le domaine de la recherche en Europe, doit être occupé par une personne ayant une parfaite connaissance des institutions helvétiques et genevoises. Un détail qui n’en est pas un: aucune femme ne s’était auparavant portée candidate à la succession de l’actuel recteur, Yves Flückiger, arrivé au terme de deux mandats de quatre ans et qui a rempilé le temps qu’on lui trouve un remplaçant. Ou une remplaçante.
A ce propos, la cheffe du Département de l’instruction publique, Anne-Emery Torracinta, ministre de tutelle de l’Unige, a souhaité que cet «électrochoc» (le retoquage du Canadien Eric Bauce par le Conseil d’Etat) suscite des vocations internes, en particulier de femmes.
Un vœu pieux? L’an dernier, «une dizaine de femmes, professeures d’université à Genève ou ailleurs en Suisse romande, ont été sollicitées afin qu’elles se portent candidates à la succession du recteur Yves Flückiger. Aucune n’a accepté», affirme à watson l’un des 45 membres de l’Assemblée de l’Unige, cette structure chargée de récolter les candidatures et d'effectuer un choix parmi elles.
Parmi la dizaine de femmes sollicitées figurerait au moins l’une des deux actuelles vice-rectrices de l’UNIGE. Nous avons demandé confirmation de cela au rectorat. Nous n’avons pas pour l'heure obtenu de réponse.
Pourquoi les femmes contactées par les «recruteurs» de l'Assemblée de l'Unige, la plupart d'entre elles âgées d’une cinquantaine d’années, ont-elles toutes décliné la proposition qui leur était faite? «S’il fallait résumer d’une phrase la raison de leur refus, reprend notre source, membre du corps professoral de l'Unige et l'un de ces recruteurs, ce serait celle-ci»:
La fonction de recteur, de rectrice, est un métier en soi. «Ce sont des honneurs, mais aussi beaucoup d’emmerdes», observe notre interlocuteur. De nombreux soucis: les problèmes de harcèlement à gérer, affronter l’activisme de certains étudiants (trois réunions perturbées en 2022), chercher des financements pour alimenter les programmes de recherche, etc.
Faute de candidature féminine, l’Assemblée de l’Unige pensait avoir trouvé la perle rare en la personne du Canadien Eric Bauce, dont l’âge, 62 ans, fut l’un des motifs de rejet de sa candidature par le Conseil d’Etat. «Il n’aurait pu faire qu’un mandat, c’était chose possible, défend notre source. Et le temps qu’il aurait mis à se familiariser avec les institutions suisses aurait été compensé par un gain dans des domaines où il a démontré ses compétences, je pense à la recherche de financements, son carnet d’adresses étant fourni.»
L’Assemblée de l’Unige s’est réunie mardi soir, indique-t-elle mercredi dans un communiqué publié sur le site de l'université. Bien que désavouée par le Conseil d’Etat, elle affirme souhaiter poursuivre sa mission, «seulement, dit-elle, après une analyse approfondie des raisons qui ont mené à cette non-nomination (réd: d'Eric Bauce) par le Conseil d’État». Elle entend donc prendre son temps, là où Anne-Emery Torracinta semble vouloir aller vite.
De son côté, le Conseil d’orientation stratégique (COSt), sorte de haute autorité veillant sur l’Université de Genève, renouvelle son soutien à l’Assemblée de l’Unige. Le COSt avait approuvé la candidature d’Eric Bauce. Ses sept membres, nommés par le Conseil d'Etat, ont dû ressentir comme un camouflet le «niet» gouvernemental opposé au Canadien.