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La Suisse est «à des années-lumière» de stopper les féminicides

Frauen halten Plakate mit den Worten "Stop Feminicides" und "Wir wollen uns lebend" hoch, bei einer Mahnwache gegen Feminizide, am Freitag, 4. April 2025 auf dem Bundesplatz in Ber ...
Veillée contre les féminicides, le vendredi 4 avril 2025 sur la Place fédérale à Berne.Image: KEYSTONE

La Suisse est «à des années-lumière» de stopper les féminicides

Le 10 avril à Epagny (FR), un quatorzième féminicide est survenu. Quel est le problème de la Suisse? La doctoresse Alessandra Duc Marwood, responsable de l'unité d'aide aux victimes de violences Les Boréales, apporte son éclairage.
18.04.2025, 07:0218.04.2025, 07:02
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Le jeudi 10 avril à Epagny, dans le canton de Fribourg, un homme se présente sur le lieu de travail de sa femme qui effectue des ménages. Il entre dans la maison et la tue avant de retourner l'arme contre lui. Fin 2024, le quarantenaire avait passé douze semaines en prison suite à une plainte déposée par son épouse pour violences domestiques. Relâché, une interdiction de périmètre avait été prononcée par la justice.

Il s'agit du quatorzième féminicide recensé en Suisse en 2025, ce qui en fait l'une des années «les plus meurtrières pour les femmes», alertent les organisations citées par 24 Heures. A titre de comparaison, 20 féminicides ont été enregistrés en 2024.

Comment expliquer cette violence dans le pays? La doctoresse Alessandra Duc Marwood, responsable de l'unité d'aide aux victimes de violences du Chuv Les Boréales, répond.

14 féminicides depuis le début de l'année: quel est le problème de la Suisse?
Alessandra Duc Marwood: Nous avons de la peine à admettre que la violence existe. Nous pensons que lorsqu'il y a un problème, il peut se résoudre. La violence est banalisée. Conséquence: beaucoup de victimes qui cherchent de l'aide peinent à en recevoir, en tout cas venant d'organes officiels. Certes, des foyers existent et la police est formée.

«Mais aujourd'hui encore, lorsque les victimes parlent des violences vécues, on leur dit qu'elles exagèrent. Leur discours confus en raison de la peur est pris pour un mensonge. En Suisse, le système nie le danger.»

Pourquoi nie-t-on le danger?
Il s'agit d'un mécanisme de protection psychique qui existe chez tout le monde, car l'impensable est difficile à imaginer.

«Chez ces hommes qui tuent des femmes, la plupart du temps il y a des antécédents, des évaluations qui permettent de dire qu'ils sont dangereux»
Alessandra Duc Marwood, médecin responsable de l'unité d'aide aux victimes de violences Les Boréales.

En Suisse, on ne sait pas lire les signes avant-coureurs?
Même si on sait les lire, ils ne sont pas pris au sérieux. Dans mon unité au Chuv, nous avons des critères qui permettent d'évaluer la violence: est-ce qu'un auteur est conscient de ses comportements violents? Reconnait-il sa responsabilité? Ou, au contraire, met-il la faute sur l'autre, en disant par exemple que sa femme l'a provoqué? Mesure-t-il l'impact de ses actes? Ou dit-il des choses comme: «Elle n'a pas eu si mal que ça», «elle n'est restée que trois jours à l'hôpital».

«L'homme violent reconnait-il les faits? Ou fait-il semblant pour que l'on s'apitoie sur son sort? Ce second scénario est un mécanisme de perversion très puissant»

Que faudrait-il faire pour résoudre le problème à la racine?
Nous devons investir pour protéger les victimes, notamment les enfants – un tiers des victimes de violences vont les reproduire –, afin de créer une société de demain bienveillante. Un féminicide est la pointe de l'iceberg: pour un meurtre, combien de femmes sont violentées, muselées?

Auriez-vous des exemples concrets de mesures de protection?
Aujourd'hui, les mesures de protection ne reposent que sur les victimes. Elles doivent tout quitter, se retrouvent enfermées, dans la plupart des cas avec leurs enfants, dans des centres d'accueil, car souvent l'auteur ne respecte pas les mesures d'éloignement.

«Ces femmes vivent dans la peur de rencontrer l'auteur et de se faire agresser, voire pire»

Je suis allée en Norvège visiter un site hospitalier où des foyers familiaux ont été construits. Un réel travail est fait avec les auteurs de violences et les familles ne sont pas laissées seules, car cela n'est tout simplement pas possible.

«A un moment donné, nous ne sommes plus d'accord. S'il n'y a pas une réelle transformation de la part des hommes violents, ils ne peuvent pas vivre seuls, encore moins acheter des armes. Ils ne doivent pas être laissés en liberté.»

Les chiffres des féminicides en Suisse en 2025 sont particulièrement élevés par rapport aux années précédentes. Comment expliquer cette hausse?
Il est difficile de répondre. Ce que je peux affirmer, c'est qu'au Chuv, nous observons une explosion des demandes. Les violences intrafamiliales augmentent. Pourtant:

«Si la victime est entourée et protégée, il y a moins de risque que la balle l'atteigne un jour. L'auteur ne passera pas à l'acte s'il a un entourage qui le contient»
Alessandra Duc Marwood, médecin responsable de l'unité d'aide aux victimes de violences Les Boréales.

Vous dites qu'il est difficile d'expliquer cette augmentation. La Suisse a-t-elle envie de comprendre?
Au niveau politique, il y a une volonté affichée de comprendre. La réalité est autre. Les choses peinent à évoluer, la loi ne suit pas. Il y a encore beaucoup de failles.

«Un homme violent est mis en prison, puis il ressort. Nous n'avons pas réussi à créer de vrais filets de protection. La responsabilité est collective»

Le féminicide doit devenir une priorité sociale. Ce n'est pas le cas en 2025. Pourtant, créer une société avec moins de violence n'est pas compliqué. Mais nos dispositifs de protection, notre justice et l'action politique ne prennent pas en compte l'ampleur du problème.

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