Le terrain de jeu (dangereux) de Damien Rieu, ce sont les réseaux sociaux. Populaire et prolifique parmi les militants d'extrême droite, ce polémiste proche d'Eric Zemmour ne compte plus ses allers-retours au tribunal. Pas plus tard que jeudi, le cofondateur du mouvement Génération Identitaire (dissout par le gouvernement en 2021) a été relaxé des accusations de diffamation envers l'ex-international français Karim Benzema.
Au coeur de cette dernière affaire, des tweets considérés comme «un amalgame abjecte» par le procureur de la République.
Je crois que @Benzema veut nous faire passer un message. pic.twitter.com/yLOmuLHrD8
— Damien Rieu (@DamienRieu) November 22, 2020
Apôtre de la thèse du «grand remplacement», franc perdant des législatives de 2022 sous les couleurs du parti Reconquête! et ancien assistant parlementaire au Rassemblement national, Damien Rieu passe ses journées à jeter de l'huile sur un feu. Un feu qu'il allume lui-même, souvent assez malin pour éviter la chute, mais suffisamment de mauvaise foi pour exciter son audience.
Oui, c'est ce qu'on appelle communément un troll.
Cette semaine, ce «lanceur d'alerte» autoproclamé a carrément décidé de rebondir lourdement sur la Suisse pour propager ses «solutions» aux problèmes de la France. Une cascade réalisée sur le réseaux social X, sans la moindre souplesse.
Non seulement les chiffres sont faux (la Suisse est à 98K et la France à 44K), mais ce potage dense de références grossières et d'analogies loufoques n'a littéralement aucun sens. Bien sûr, c'est une réplique volontairement haineuse et militante, née dans un contexte où l'immigration embarrasse l'Europe avec la situation dramatique de Lampedusa.
Une publication too much mais qui, comme souvent, a eu son petit effet chez les groupies (et les détracteurs) du militant d'extrême droite: 700 000 vues, près de 5000 likes et 1200 partages. Et le pire est à venir. Car il suffit que la Suisse se retrouve dans le rôle de la voisine utile, pour que les internautes se mettent à inonder le message initial de préjugés et de théories approximatives sur les deux pays.
Attraper la Suisse à bout de bras pour taper sur la France est un réflexe récurrent chez les politiciens français, de droite comme d'extrême droite. Et notamment lorsque la neutralité ou la démocratie directe se retrouve exagérément louées ou trop vite jetée sur l'échafaud.
Deux jours après sa publication, Damien Rieu a reçu plus de 700 réactions. Parmi elles, passablement d'avis et d'analyses à l'emporte-pièce, sur la Suisse et son supposé fonctionnement, mais aussi... la France. Sans oublier des Romands simplement vexés ou soucieux de remettre l'église au milieu de la Place fédérale. Bref, une foire d'empoigne qui fait encore une fois le jeu du principal intéressé.
En voici un petit échantillon, qui prouve notamment que la politique migratoire et les systèmes démocratiques peuvent être aussi grossièrement importés qu'une plaque de choc, un coffre-fort, une fondue moitié-moitié ou une vache mauve.
Si ce n'était pas aussi dramatique, on en rirait doucement.
Bien sûr, sans y toucher, Damien Rieu empoigne une arme récurrente de l'extrême droite: propager un message volontairement fallacieux et provocateur, dans l'objectif de susciter et d'aimanter, sous une seule publication, la haine d'une catégorie d'immigrants en provenance d'Afrique. Il sait pertinemment que la question migratoire est un dossier bien plus complexe (et important) que des frontières qui s'ouvrent ou se referment. En propageant un message suffisamment mesuré, il se permet de se désolidariser de facto des réponses qu'il suscitera. Un classique.
En outre, et en filigrane, le militant d'extrême droite dévalise ici à la fois l'image qu'ont les Français de notre pays et l'idée qu'ils se font de leur propre système, pour appuyer sur les éventuelles faiblesses d'un pouvoir politique français considéré comme beaucoup plus vertical et bordélique. Et supposément par «le socialisme». Abracadabra?
Pas vraiment. Comme Eric Zemmour et sa vision fantasmée du référendum suisse, Damien Rieu ne compte pas donner plus de pouvoir au peuple français, mais lui en offrir la profonde illusion. En cela, la comparaison entre nos deux pays sera invariablement un outil de propagande. Et sans doute un échec.