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Afflux de migrants à Lampedusa: arrêtons de nous mentir

Migrants sit in Lampedusa Island, Italy, Friday, Sept. 15, 2023. Lampedusa, which is closer to Africa than the Italian mainland, has been overwhelmed this week by thousands of people hoping to reach E ...
Image: AP
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Afflux de migrants à Lampedusa: arrêtons de nous mentir

Les drames de l'immigration ne provoquent plus le même sursaut moral qu'auparavant dans les opinions européennes. En atteste le refus allemand d'accueillir une part des plus de 7000 migrants de Lampedusa. Il faut revoir le contrat Nord-Sud, le devenir de nos démocraties et des institutions européennes en dépend.
17.09.2023, 11:1518.09.2023, 07:53
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On a bien entendu: l’Allemagne «suspend» sa prise en charge d’une partie des 7000 migrants – un record – qui ont afflué «en 24 heures» sur l’île italienne de Lampedusa, le nombre total d'arrivants se montant à 11 000 lors de la semaine écoulée. Berlin invoque une «forte pression migratoire» et le refus de Rome de reprendre des réfugiés renvoyés d'Allemagne, comme le prévoient les accords de Dublin. La venue de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dimanche à Lampedusa, aux côtés de la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni, est censée rappeler le rôle majeur des institutions européennes dans la gestion des migrants via des «mécanismes de solidarité» aujourd'hui mal en point.

Comment ne pas voir dans l’attitude allemande un revirement, en vérité dans l’air depuis un certain temps, par rapport à l’accueil du million de réfugiés fuyant la guerre en Syrie en 2015? «Wir schaffen das», «Nous y arriverons», avait dit alors la chancelière Merkel, à l’initiative de cette ouverture sans précédent des frontières allemandes à des réfugiés non-européens. Il faut croire que l’Allemagne pense aujourd’hui ne plus être en mesure de «schaffer» indéfiniment l’accueil de migrants.

Qu’est-ce qui a changé depuis 2015? La croissance est certes aujourd'hui au plus bas, les prix de l’électricité y sont parmi les plus élevés d’Europe, mais, diable, l'Allemagne reste le pays le plus riche de l’Union et son faible taux de natalité ne lui permet pas de renoncer à une immigration à la fois de travail et de peuplement. Justement, son lent recul démographique l'angoisse peut-être dans un sens qui ne l'incite pas à ouvrir les bras à ceux dont elle estime qu'ils ne lui ressemblent pas.

L'hyper-crainte de la montée de l'AfD

Qu’est-ce qui a changé? L’AfD, le parti d’extrême droite qui veut restaurer la grandeur allemande, marque des points. Il s'est imposé au Bundestag, la Chambre basse, y faisant une entrée fracassante en 2017, essentiellement dans les Länder de l’ex-Allemagne de l’Est, comme une réponse au «wir schaffen das» d’Angela Merkel deux ans plus tôt. Surtout, il fait son nid dans les communes, les districts et les parlements régionaux. Pour l’essentiel, là encore, en ex-RDA, mais aussi, progressivement, dans les Länder de l’Ouest, où ses scores demeurent toutefois encore assez bas.

On ne serait pas étonné d’apprendre que la suspension de la participation allemande à l’accueil de nouveaux migrants, une décision qui daterait de «fin août», a un rapport avec des prévisions électorales très favorables à l’AfD.

En effet, à un an des élections régionales dans le Brandebourg, au nord-est de l’Allemagne, le parti nationaliste est crédité de 32% des intentions de vote. C’est 9% de plus qu’en avril. C’est surtout la première fois que l’AfD arrive en tête dans un sondage portant sur ce Land, le seul d’ex-RDA à proprement parler avec le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, où le Parti social-démocrate gouverne depuis une vingtaine d’années.

La fin de la politique pénitentielle

Ce sondage met l’Allemagne devant un réel dont elle avait pu se croire éternellement à l’abri, depuis la fin du nazisme. L’exception allemande, celle d’une politique pénitentielle, expliquant, pas seulement, mais en grande partie, l’accueil du million de réfugiés en 2015, prend fin.

L’Allemagne ne redevient pas nazie avec les succès de l’AfD. Elle se normalise. Elle se met à ressembler à ses voisins, tous dotés d’une droite identitaire relativement forte. Sauf qu’en Allemagne, passé nazi oblige, cet aggiornamento prend un sens particulier.

Mais au-delà de ce rapport à l’Histoire, c’est le rapport au présent qui change. Les perceptions évoluent, se durcissent. Les migrants ne sont plus nécessairement vus comme une «chance». Ils deviennent aussi un «problème», souvent lié à l’«origine», associée à des comportements et attitudes jugés contraires aux mœurs locales ou nationales.

En Suisse aussi

On se souvient qu’en 2020, la mairie de Porrentruy avait interdit l’entrée de sa piscine publique aux «Français» pour se prémunir des incivilités. Les individus visés étaient en réalité principalement des jeunes frontaliers d’origine maghrébine et subsaharienne, les autorités ne le cachaient pas. Ne souhaitant pas procéder à des contrôles au faciès, la municipalité jurassienne avait finalement décrété que seules les personnes résidant en Suisse auraient accès au bassin sur présentation de leurs papiers d'identité ou permis de séjour.

Trois ans plus tard, autre problème de piscine en plein été, à Berlin. Le 14 juillet dernier, le journal berlinois Tagesspiegel titrait:

«La violence dans les piscines est aussi liée à l'éducation»

Ce quotidien de sensibilité centriste et libérale abordait, en y mettant les formes, un thème qu’il aurait peut-être renoncé à traiter un an plus tôt.

La nouveauté était donc moins dans le fait de constater des comportements pouvant être imputables à un environnement culturel, que d’en parler dans un journal très comme il faut, au risque d’être accusé de faire le jeu de l’AfD. De fait, un autre quotidien, la TAZ (Tageszeitung), lui aussi édité à Berlin, mais situé à gauche, consacrait à ces faits un long reportage, sorte de contre-enquête, titrée: «Vague déferlante sur la République», pouvant être entendue comme une vague de xénophobie.

Ce qui paraît aujourd’hui certain, au regard de la situation dramatique de Lampedusa, c’est que la question migratoire doit faire l’objet d’un contrat et non plus seulement d’un devoir implicite d’accueil, dont on voit qu’il se heurte et se heurtera toujours plus à des refus en Europe.

On ne peut pas en rester à une politique d'accueil reposant sur la culpabilité du Nord riche envers le Sud pauvre demandant justice, ce biais moral n’opère déjà plus. La relation Nord-Sud est à revoir. Des conditions-cadres doivent être posées à l'immigration, des gouvernances améliorées dans les pays d'origine, des coopérations mises en place. On ne peut plus se mentir sur les constats. Ce qui est en jeu, c’est aussi le devenir de nos démocraties.

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