«Un département important, mais bizarroïde. Je ne crois pas qu’on ait déjà vu en Suisse une telle combinaison.» Pascal Sciarini, professeur de science politique à l’Université de Genève, commente les attributions de Pierre Maudet – Santé et Mobilité – dans le nouveau Conseil d’Etat genevois. Le rescapé de la vie politique genevoise, chef du mouvement Libertés et Justice social (LJS), n’est certainement pas un perdant de la répartition des départements, communiquée mardi. «La Santé est avec l’Instruction publique l’un des secteurs les mieux dotés budgétairement», souligne Pascal Sciarini.
Maudet la voulait-elle? La lui a-t-on imposée? Précédemment en main du MCG Mauro Poggia, qui ne s’est pas représenté, la Santé est un département, comme d’autres, à problèmes, mais il est par définition vital pour l’ensemble des citoyens. A sa tête, Pierre Maudet aura l’occasion de mettre en œuvre l’une de ses propositions de campagne: une caisse maladie unique et cantonale, une idée de gauche.
Casse-gueule, la Mobilité est un morceau de choix. Le prédécesseur à ce poste, le centriste (ex-PDC) Serge Dal Busco, qui lui non plus ne se représentait pas, avait ligué la droite contre sa personne. En cause, une politique jugée défavorable aux automobilistes. Pierre Maudet, qui préconisait une baisse des tarifs des transports publics, une de ses propositions lui valant le qualificatif de populiste de la part de ses ennemis lors de la campagne électorale, parviendra-t-il à faire cohabiter en bonne intelligence automobilistes, cyclistes et piétons? Pas facile: le territoire genevois, très urbain, est exigu.
Une chose est sûre, note Pascal Sciarini:
Sinon, on attend avec impatience les premières déclarations de Pierre Maudet en rapport avec le nouvel horaire CFF qui désavantage Genève. Lui qui avait brigué un siège au Conseil fédéral en 2017 (deuxième derrière Ignazio Cassis), donnant a posteriori des sueurs froides à la Berne fédérale en raison de ses ennuis judiciaires apparus dès 2018, voudra-t-il se poser en défenseur des Genevois, plus largement, des Romands dans un dossier chargé d’une symbolique identitaire?
Priorité à l’ancienneté: sur les sept conseillers d’Etat genevois de la nouvelle législature, Antonio Hodgers (Les Vert.e.s), Nathalie Fontanet (PLR) et Thierry Apothéloz (PS) sont les plus anciens dans la place. Leurs vœux, s’il s’agit bien de cela, ont été exaucés. Ils conservent leurs départements respectifs:
La droite voulait absolument récupérer le Département de l’instruction publique après 20 ans de gouvernance de gauche – elle ne témoignait pas non plus jusqu’à peu d’un grand intérêt pour le «mammouth». C’est la PLR Anne Hiltpold qui le dirigera, après en avoir manifesté la volonté. L’on sait qu’elle souhaite faire commencer les premiers apprentissages dès l’âge de 3 ans, revoir l’organisation des filières gymnasiale et professionnelle. Des points sur lesquels elle risque de s’opposer à la gauche du Grand Conseil, qui brandit déjà la menace de référendums, et aux syndicats enseignants, réputés puissants.
Anne Hiltpold aura peut-être la partie plus facile avec ses propositions visant à accorder plus d’autonomie aux professeurs, ce qui contrasterait avec l’autoritarisme prêté par certains à sa prédécesseure, la socialiste Anne Emery-Torracinta, qui avait par ailleurs pâti d’une affaire de maltraitance survenue au foyer de Mancy, spécialisé pour les jeunes autistes.
Elue pour la première fois, la socialiste Carole-Anne Kast hérite d’un apparent contre-emploi pour quelqu’un de gauche, la Police, à quoi s’ajoutent la Justice et le Numérique. Dans l’aventure, elle perd la Santé, jusqu’ici rattachée à ce ministère, qui prend désormais le nom de Département des institutions et du numérique, ce dernier secteur ayant son importance en ces temps de lutte contre la cybercriminalité.
Comme une autre socialiste l'année dernière, la Jurassienne Elisabeth Baume-Schneider au Conseil fédéral, Carole-Anne Kast se voit confier le maintien de l’ordre. Mais c’est surtout sur son aptitude à gérer les personnels de police que la Genevoise, qui n'a pas pour habitude de se laisser marcher sur les pieds, dit-on à son propos, sera jugée. Beaucoup avant elle ont perdu la bataille face à l'institution policière. Pascal Sciarini le rappelle:
La centriste Delphine Bachmann, elle aussi nouvelle venue, reprend l’Economie et l’Emploi des mains de la verte Fabienne Fischer, non réélue, dont les idées s’inscrivant dans une dynamique de développement durable n’avaient pas fait l’unanimité auprès des chefs d’entreprises. Le profil plus libéral de Delphine Bachmann convient en tout cas à la Chambre de commerce et d’industrie genevoise (CCIG), qui l’avait jugée la plus «compatible» avec ses attentes lors de la campagne électorale.
Réaction de Vincent Subilia, directeur général de la CCIG: