La multinationale californienne va débourser plus de 35,4 millions de francs pour régler les arriérés avec ses chauffeurs. La société de VTC va ainsi se mettre en conformité avec l'arrêt du Tribunal fédéral selon le département de l'économie du canton de Genève.
Pour faire table rase du passé, Uber va donc verser 20 millions de francs supplémentaires en faveur de ses chauffeurs, soit 15,4 millions de francs versés directement aux assurances sociales et 4,6 millions aux chauffeurs en guise d'indemnités en fonction des kilomètres parcourus entre le 29 octobre 2019 et le 17 juin 2022.
Comment en est-on arrivé là? Voici un résumé de l'affaire Uber versus Etat de Genève. Accrochez-vous.
«C'est une victoire historique qui fera date pour l'ensemble du pays», c'est par ces mots que le Conseil d'Etat genevois se félicitait, le 3 juin dernier, de la décision du Tribunal fédéral. Désormais, les chauffeurs Uber du bout du lac doivent être considérés comme des employés de la firme californienne et non des travailleurs indépendants.
Cet arrêté fait suite à une longue saga lancée en 2019 par l'Etat de Genève (dont vous trouvez le résumé juste ici 👉🏼)
Le canton de Genève par le biais de la nouvelle Conseillère d'Etat en charge de l'économie, Fabienne Fischer, salue la décision qu'elle qualifie d'historique.
Les syndicats, eux, se montrent prudents et attendent de voir la mise en application de la décision du Tribunal fédéral.
La multinationale sommée de se mettre en règle par l'Etat de Genève doit interrompre ses activités, dès le samedi 4 juin 2022. Les chauffeurs sont désemparés, car ils se retrouvent sans revenus du jour au lendemain. La société explique qu'elle va prendre contact avec les autorités pour débloquer la situation.
Une délégation de chauffeurs Uber inquiets rencontre la conseillère d'Etat Fabienne Fischer. Celle-ci leur rappelle que la société savait «depuis 2019 qu'elle risquait de devoir se mettre en conformité avec la loi».
En résumé, la Fabienne Fischer rappelle que la balle est désormais dans le camp d'Uber et que c'est à la société américaine de se conformer à la loi.
C'est par un communiqué des plus sobres que le département de l'économie annonce avoir discuté avec la direction de la multinationale. Cinq lignes pour expliquer que des discussions ont eu lieu et qu'elles doivent permettre la reprise de l'activité d'Uber.
L'Etat de Genève annonce avoir trouvé un accord avec la firme américaine et l'avoir signé le vendredi 10 juin. L'interdiction d'activité d'Uber dans le canton du Genève est levée dès le samedi 11 juin. Selon les termes de l'accord, Uber s'engage à ce que les chauffeurs bénéficient des conditions du travail résultant du code des obligations, du salaire minimum (23,27 francs de l'heure) et d'affiliations aux assurances sociales, et ce, jusqu'à la fin des rapports contractuels.
La conseillère d’Etat Fabienne Fischer se félicite de ce dénouement et précise que cet accord formalise l’engagement de la société à se mettre en conformité avec la loi, comme jugé par le Tribunal fédéral. Point important, la société semble accepter de payer les montants dus aux activités antérieures à la décision du 3 juin 2022. Jusqu'à l'annonce de l'accord, la multinationale avait toujours refusé publiquement d'entrer en matière sur ce sujet.
La société de VTC reprend, désormais, ses activités, mais précise, toutefois, qu'elle va faire appel à une entreprise partenaire qui emploierait désormais ses chauffeurs. La firme californienne ne sera donc plus officiellement l'employeur des chauffeurs qui utilisent son application (vous suivez toujours?). Uber va alors mandater une société externe qui s'occupera entre autres des salaires et des assurances sociales. Vous pensez que l'histoire est réglée? Accrochez-vous! On est (seulement) à la mi-juin.
Les chauffeurs Uber sont de plus en plus sceptiques quant à l'accord passé entre l'Etat de Genève et la société de VTC. Dans un communiqué daté du 13 juin, le syndicat SIT qualifie cet accord de «bancal». La raison? Selon le syndicat, il ne règle pas la question des arriérées de salaires. Il ajoute aussi que la multinationale persiste aussi à ne pas vouloir «elle-même» salarier ses chauffeurs.
En effet, Uber avait annoncé vouloir travailler avec des sociétés partenaires qui «pourraient embaucher les chauffeurs avec le statut d'employé afin qu’ils puissent continuer à exercer leur activité sous ce statut à Genève». La société choisie par Uber se nomme MITC Mobility, il s'agit d'une entreprise de portage salariale et elle deviendra officiellement le nouvel employeur des chauffeurs de l'entreprise de VTC. Ainsi, selon le quotidien Le temps, le 13 juin, Uber a informé les quelque 800 chauffeurs VTC genevois qu'ils pouvaient signer un formulaire acceptant leur transfert auprès de l'entreprise MITC Mobility. Toujours selon le quotidien romand, 200 chauffeurs sur les 800 répertoriés ont accepté le transfert en date du 15 juin.
Fabienne Fischer annonce avoir saisi la Chambre des relations collectives de travail (CRCT) qui devrait obliger Uber, MITC Mobility, les associations de chauffeurs et les syndicats à dialoguer. L'enjeu majeur est le paiement des salaires des chauffeurs du mois de juin, mais aussi les modalités de transfert des chauffeurs vers MITC, la société partenaire d'Uber.
Selon Fabienne Fischer, une première séance de conciliation entre les partenaires sociaux est prévue la semaine du 20 juin. Cette nouvelle étape dans le bras de fer entre Uber et ses chauffeurs ressemble à une dernière tentative de la part de l'Etat de mettre au pas la multinationale. La Conseillère d'Etat a en effet rappelé que les parties étaient obligées de participer aux réunions.
Le 17 juin, soit le lendemain de l'envoi des parties en consultations, Uber transfert les contrats de travail de ses chauffeurs à MITC Mobility, une société de portage salariale qui paiera les chauffeurs en lieu et place de la multinationale californienne.
Les négociations entre les syndicats, associations de chauffeurs et Uber ont échoué. Interrogés par Le temps, les syndicats Unia et SIT dénoncent «une non-entrée en matière de la part d'Uber et de son partenaire MICT Mobility» sur les revendications syndicales. Reproche balayé par la société californienne. Quarante jours après l'annonce retentissante du Tribunal fédéral, les syndicats exigent que l'Etat reprenne les négociations en main et force la société californienne à appliquer la loi.
Selon les syndicats et malgré l'arrêt du TF, Uber n'a pas modifié son modèle, continuant de faire porter les risques économiques par les chauffeurs. Les conditions de travail des chauffeurs auprès de la société MICT Mobility ne correspondent pas à du salariat. Ils citent notamment les raisons ci-dessous:
Le syndicat SIT demande à ce que les activités d'Uber et de MITC soient suspendues tant que l'entreprise «ne rentre pas dans les clous». En réponse à leurs revendications, le département de l'économie genevois va proposer une rencontre tripartite pour que les discussions se poursuivent dans un autre cadre que la Chambre des relations collectives de travail.
Du côté d'Uber Suisse, son directeur Jean-Pascal Aribot a indiqué que la majorité des chauffeurs étaient satisfaits des efforts qui ont été consentis par l'entreprise lors des réunions de la CRCT, «contrairement à ce que prétendent les syndicats et une minorité de chauffeurs».
Concernant les compensations rétroactives des chauffeurs, Uber Jean-Pascal Aribot déclare:
Pas sûr que cette réponse satisfasse les syndicats qui ont estimé que les arriérés de salaires et les assurances sociales se chiffraient à plusieurs millions de francs. La saga est donc loin d'être terminée.
La multinationale a donné des garanties financières qui permettent d'ouvrir des négociations. En attendant le résultat de ces discussions, Uber peut continuer son activité.
Selon le département de l'économie, Uber a pris des engagements et déposé «des garanties solides». La multinationale s'est engagée à verser d'ici fin août auprès d'un notaire à Genève un montant de cinq millions de francs. La somme sera bloquée comme garantie pour les arriérés de salaires ou les frais dus aux chauffeurs.
La prolongation de l'accord, qui permet aux chauffeurs de travailler via MITC Mobility SA, vise à donner le temps à tous les partenaires de trouver des solutions. Deux commissions techniques triparties seront créées.
Les syndicats SIT et Unia relèvent qu'il y a enfin «des avancées concrètes», notamment avec la constitution d'un fonds de garantie et d'une indemnité forfaitaire.
Les chauffeurs Uber ont refusé lors d'une assemblée la proposition de convention destinée à régler le passé. Unia et les Syndicats interprofessionnels des travailleurs (SIT) ont annoncé qu'Uber proposait de payer 15,4 millions de francs d'arriérés sur les cotisations sociales pour la période allant de janvier 2017 à juin 2022. Le montant était d'une part impossible à vérifier selon Luc Ferrière, cosecrétaire général du SIT et d'autre part, il comprenait la part qui incombe aux employés.
Un complément d'indemnisation de 4,6 millions était aussi prévu pour cette période de cinq ans et demi. «Cette proposition n'était pas à la hauteur. S'y ajoute le fait que les frais représentent la moitié de leur revenu», explique le syndicaliste.
La convention proposée par Uber est jugée «indigne voire humiliante» selon le syndicat SIT. Au total, les syndicats Unia et SIT ont estimé qu'avec la prise en compte de temps d'attente à 28 francs de l'heure, les syndicats arrivent à 46 millions de francs.
Uber peut continuer à exercer ses activités à Genève pour l'instant. Le département de l'économie et de l'emploi (DEE) indique vendredi se donner quelques semaines pour analyser la proposition faite par l'entreprise californienne visant à solder le passé avec ses chauffeurs, considérés comme des salariés et non plus comme des indépendants.
Le sursis octroyé à l'entreprise californienne est l'avant-dernier épisode en date du feuilleton qui lie Uber à l'Etat de Genève. Le dossier des arriérés sera conclu avec l'annonce du vendredi 18 novembre 2022 dans laquelle l'Etat de Genève confirme qu'Uber paiera plus de 35,4 millions de francs pour régler le passé avec ses chauffeurs.