Que se passe-t-il derrière les portes de la villa de cette famille de milliardaires discrets? Cette question est au cœur d'une saga judiciaire genevoise. Quatre membres de la famille Hinduja doivent répondre de l'accusation de traite d'êtres humains pour l'exploitation de leurs employés de maison. Il s'agit de Prakash Hinduja, sa femme, son fils et sa belle-fille. Ils bénéficient tous de la présomption d'innocence.
Prakash Hinduja, 78 ans et indo-suisse, possède avec ses trois frères le groupe Hinduja, qui emploie des dizaines de milliers de personnes dans le monde entier. Ce conglomérat est notamment actif dans le secteur bancaire ainsi que dans les secteurs des télécommunications et de l'énergie. Selon la «Sunday Times Rich List», la famille Hinduja est la famille la plus riche du Royaume-Uni et posséderait près de 39 milliards de francs. D'après les estimations de Bilanz, un quart de cette somme revient à Prakash Hinduja, qui vit dans le canton de Genève.
Les graves accusations portées contre lui et sa famille ont fait surface en 2017: des employées de maison ont déclaré devoir travailler dans des conditions indignes dans leur villa de Cologny (GE). Le ministère public genevois a enquêté pendant six ans – avant de porter les accusations devant les tribunaux.
Selon l'acte d'accusation, la famille aurait recruté pendant près de 19 ans des dizaines de ressortissants étrangers à Genève et en Inde – souvent des analphabètes issus de milieux pauvres. Ils auraient été logés dans des conditions précaires au sous-sol de la villa. Certains auraient même dû dormir pendant plusieurs années dans un abri antiatomique sur des lits superposés.
L'acte d'accusation précise également que les employés de maison travaillaient tous les jours de la semaine, du matin au soir, sans compensation pour les heures supplémentaires, et ce pour un salaire mensuel compris entre 110 et 400 francs. De plus, les passeports des employés auraient été confisqués par l'employeur, ce qui aurait fortement limité leur liberté de mouvement.
L'année dernière, les avocats de la famille ont qualifié les accusations d'exploitation d'«inventions» auprès de la NZZ am Sonntag. Selon eux, les employées cherchent à obtenir un gain financier. Elles auraient été libres à tout moment et auraient par exemple entrepris des promenades le long du lac Léman.
Les parties auraient dû présenter leurs arguments devant le tribunal pénal de Genève ce lundi. Les trois anciennes employées de maison plaignantes se sont présentées à l'ouverture du procès avec leur équipe d'avocats. En revanche, Prakash Hinduja et son épouse étaient absents. Ils ont fait valoir des certificats médicaux délivrés par un médecin de Dubaï, où ils séjournent actuellement. Deux des cinq avocats de la famille n'ont pas non plus assisté à l'ouverture du procès pour cause de maladie.
Le procureur Yves Bertossa a vivement critiqué la «tactique de temporisation» du couple et de leurs défenseurs: «Ces gens méprisent la loi, la justice suisse et les victimes». La famille ne veut pas de procès, selon Olivier Peter, avocat d'une plaignante.
Ces paroles fortes sont dues au fait que ce n'est pas la première fois que le procès est retardé. Il aurait déjà dû avoir lieu à l'automne 2023. La famille a épuisé toutes les voies de recours possibles: selon un reportage de la RTS, ses avocats ont déposé 14 demandes de récusation contre des procureurs, des policiers et des juges, toutes sans succès. La dernière demande en date contre la juge en chef du Tribunal pénal est encore pendante devant le Tribunal fédéral.
Les trois avocats de la famille Hinduja se sont vigoureusement défendus lundi contre l'accusation de vouloir torpiller le procès. Les critiques exprimées sont des «arguments populistes», a déclaré Robert Assaël. Il s'agirait d'un «procès contre les riches». Les Hinduja respectent les institutions judiciaires et ne sont pas responsables de leur «santé fragile».
Mais comment le tribunal peut-il parvenir à un jugement lorsque deux accusés se trouvent à Dubaï? En Suisse, un procès en l'absence de l'accusé n'est possible qu'à certaines conditions. Le Tribunal pénal genevois estime que celles-ci ne sont pas remplies pour le moment – et lance une nouvelle tentative: le procès principal avec tous les prévenus doit s'ouvrir le 25 janvier.
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder