Ce 14 juin 2022, la Suisse donnera de la voix pour l'égalité homme-femme. Une revendication fondamentale qui pourra notamment être incarnée par l’absence des femmes sur leur lieu de travail. Mais dans l'ombre de cette grève féministe et ses cortèges inhérents, une partie d'entre elles a déjà fait le choix de l'absence… dans les rues du pays.
Etudiantes ou travailleuses, croyantes ou laïques, militantes ou sans engagement politique: quel que soit leur profil, plusieurs Suissesses ont témoigné auprès de watson: elles ne participeront pas à la mobilisation féministe national. Une 4e édition d'ailleurs principalement portée par «l'AVS 21» - réforme sur laquelle le peuple votera en septembre prochain.
Parmi les vingt témoignages recueillis, des femmes évoquent des contraintes professionnelles ou estudiantines, d'autres des principes personnels qui sont aux antipodes de ceux clamés par le mouvement. Certaines, enfin, n'ont participé qu'à la mobilisation historique de 2019, et ne comptent plus y retourner.
Sandra*, 29 ans, par exemple. Cette étudiante à l'université évoque, avec une certaine amertume, sa période d'examens: «Je ne peux malheureusement pas sacrifier mon temps de révision pour aller manifester...». De leur côté, un certain nombre de travailleuses déplorent le fait que leur absence soit considérée comme un congé sans solde par leur employeur.
Alors que la plupart de ces femmes avaient pu participer à la première mobilisation il y a trois ans. Que s'est-il passé depuis? «Cette année, la grève féministe n'est pas accompagnée d'une grève salariale», explique à watson Léa Ziegler, membre du collectif neuchâtelois. Selon la secrétaire au Syndicat des secteurs public et parapublic (SSP), cette situation se justifie par le fait que le mouvement de 2019 avait été soutenu par l'appel des syndicats un an plus tôt. Un projet qui avait demandé «énormément de travail» et n'a pas pu voir le jour les années suivantes.
Toutefois, Léa Ziegler précise que la 5e édition, en juin 2023, sera à nouveau soutenue par la grève salariale. Une information confirmée par Anne Michel, membre du collectif genevois et co-présidente du SSP Genève. Elle ajoute que ces précisions ont été clairement annoncées aux participantes. Or, pour une partie de ce public cible, il y a un autre son de cloche.
«Je ne savais même pas que la grève avait lieu cette année»: Cette phrase a largement été entendue parmi les témoignages recueillis par watson. Mélanie, diplômée en psychologie, s'interroge sur la circulation de l'information: «Y aurait-il eu un manque de sensibilisation par rapport à 2019?»
Léa Ziegler et Anne Michel s'étonnent. «A Genève, par exemple, en à peine un mois et demi, nous avons distribué plus de 5000 flyers. La promotion sur les réseaux sociaux a également été très riche», souligne la co-présidente du SSP. Du point de vue des organisatrices, tant la motivation des participantes à la grève féministe que la communication des instigatrices sont restées inchangées. Seule ombre au tableau, cette année: la couverture médiatique:
A celles qui ne peuvent pas participer, Léa Ziegler et Anne Michel proposent plusieurs alternatives symboliques: port de bracelet violet, pauses plus longues, soutien sur les réseaux sociaux... Mais que dire à celles qui ne veulent pas (ou plus) se joindre à la mobilisation?
Une part importante des femmes s'étant entretenues avec watson avouent ne plus se reconnaître dans le mouvement féministe suisse. C'est le cas de Sophie*, 27 ans, qui était, comme près de 500 000 autres personnes, descendue dans les rues du pays le 14 juin 2019, afin d'exiger l'égalité entre les hommes et les femmes: «Mais je n'irai plus, signale-t-elle. Je ne me retrouve plus dans le groupe. C'est devenu un mouvement qui en inclut plein d'autres tels que ceux du climat ou des LGBTQIA+».
D'autres, comme Nicole*, 26 ans et diplômée en communication, ont l'impression d'être tenues à l'écart par les organisatrices du mouvement:
Cette idée que la grève féministe serait au coeur d'une convergence de plusieurs luttes, Lea Ziegler l'a souvent entendue. Mais la syndicaliste rappelle que le mouvement féministe a toujours été «inclusif et transversal»:
Ces valeurs, Pauline, 36 ans, les salue. Mais pour cette mère de deux enfants qui avoue admirer les anciennes générations de militantes ayant, notamment, lutté pour le droit de vote des femmes en 1971, aujourd’hui, le problème est ailleurs:
Pauline cite notamment le fait de manifester seins nus ou encore les scandales qu'il y a eu en 2019, comme la mise en retrait des hommes de la manifestation ou de son organisation. Pour cette employée en administration, bien qu'il reste des points à améliorer, la situation des femmes a tout de même bien évolué. Elle ne nécessite plus la même agitation qu'il y a cinquante ans: «Mon entreprise s'assure que les salaires soient attribués selon les compétences de manière égale entre les hommes et les femmes. Et, dans mon couple, nous nous partageons les tâches. Je connais de plus en plus de femmes qui sont dans la même situation que moi.»
Pour Anne Ziegler, qui milite au sein de la SSP depuis 25 ans, des constats comme celui de Pauline ne justifient pas tout: «La non-mixité du mouvement est nécessaire. Elle a permis à plein de femmes qui n'osaient pas parler dans un contexte mixte à se sentir plus incluses dans la cause. Partout dans le monde où des mouvements féministes se sont mis en place de manière concrète, cela s'est toujours fait sans les hommes dans l'organisation.»
Concernant les femmes militant seins nus, si Léa Ziegler rappelle qu'il s'agit d'une infime partie des manifestantes, la syndicaliste tient aussi à pointer le fait que le procès qui leur est fait met plus particulièrement en lumière la sexualisation du corps de la femmes, et de laquelle celle-ci cherche justement à se libérer. Fédératrice, elle conclut son discours:
*Ces personnes n'ont pas souhaité témoigner sous leur réelle identité pour des raisons personnelles et/ou professionnelles.