Moscou continue de se fournir en machines-outils européennes en contournant les sanctions prises à son encontre. À la mi-janvier, on vous parlait ainsi des lasers allemands qui ont rejoint la Russie, où ils servent à calibrer des appareils dans les usines d'armement.
Le phénomène concerne également la Suisse puisque fin 2023 déjà, des composants helvétiques étaient décelés dans les drones utilisés par Moscou dans sa guerre en Ukraine.
Et cette semaine, la SRF révèle qu'une centaine de machines-outils de fabrication suisse ont trouvé leur chemin jusqu’en Russie par des moyens détournés. Parmi elles, des équipements de l'entreprise Tornos SA, basée à Moutier (BE) et spécialisée dans la fabrication de machines destinées à la production de pièces de précision.
Selon des données douanières, deux machines de la société du Jura Bernois ont été expédiées en Turquie en 2023, pour un montant de 420 000 euros. Enregistrée à Istanbul le 8 juin, la livraison avait pour destinataire la société turque Enütek Makina.
Mais les deux engins n'ont pas séjourné longtemps en Turquie, puisque les documents consultés par la SRF montrent qu'ils ont rapidement été expédiés vers la Russie. Enütek Makina n'est en réalité qu’une société-écran destinée à fournir clandestinement Moscou en technologie occidentale.
Un mois plus tard, une autre livraison helvétique a transité via cette société turque, cette fois à destination du groupe Promtech, un sous-traitant de l’industrie militaire russe de la ville de Dubna. Au total, les deux entités se sont ainsi échangé 12 machines produites par Tornos SA.
Enütek Makina comme Promtech se retrouvent sous le coup des nouvelles mesures annoncées par la Confédération, qui a repris, mardi, les modifications décidées par l’Union européenne dans le cadre de la guerre d'agression russe.
Contactée par la SRF, Tornos SA assure respecter «les lois et réglementations en vigueur». Et d'ajouter:
Parmi les autres entreprises suisses impliquées dans ces livraisons détournées, on retrouve également le géant schaffhousois Georg Fischer, l’un des plus grands fabricants de machines-outils d'Europe. Plus de la moitié des machines suisses livrées en Russie depuis le printemps 2022 sont issues de ses usines.
Des images relayées par la SRF montrent notamment au moins cinq appareils de Georg Fischer dans une usine de production de kalachnikovs, le fusil standard de l’armée russe, dans la ville d'Ijevsk.
Contactée par la RTS, l'entreprise de Schaffhouse assure avoir livré ces machines avant 2018 et qu'«aucune sanction ni autre réglementation sur le contrôle des exportations n’a été enfreinte».
George Fischer indique néanmoins à la SRF avoir pris des mesures pour éviter pareille situation, dont le rachat d'appareils pour 5 millions de francs afin d’éviter leur exportation vers la Russie.
Selon Swissmem, la faîtière de l'industrie suisse des machines, des formations auprès des entreprises sont pourtant bien prévues pour éviter ces détournements. «Mais des criminels déterminés peuvent contourner toutes les mesures», confie l'association à la télévision alémanique. (jzs)