Chère Brasserie Lorraine,
J'ai déjà lu beaucoup de choses sur toi. J'ai l'impression que toutes les personnes de plus de 40 ans ayant accès à Internet et à un clavier ont déjà parlé de toi. Parce que tu as annulé un concert. A cause d'une coiffure qui serait inadmissible du point de vue de la cultural appropriation.
Aujourd'hui, tu as à nouveau fait parler de toi, en refusant de servir des militaires qui ne voulaient pas se débarrasser de leurs uniformes. Là encore, tu as été vilipendée.
Et je prédis que tu ne tarderas pas à faire l'objet d'une couverture médiatique nationale, voire internationale. Simplement parce que tu as donné l'exemple de tes idées sociopolitiques, radicalement progressistes.
Ne te laisse pas décourager, c'est exactement ce que tu dois faire.
Tu te souviens probablement encore du mouvement de jeunesse des années 68? «Celui qui couche deux fois avec la même personne, fait déjà partie de l'establishment», scandaient-ils. Et ils s'adonnaient à l'amour libre dans Kommune 1 - une communauté libertaire de Berlin-Ouest -, devant les caméras des médias du monde entier, à la consternation de la génération bourgeoise de leurs parents.
Ce que la Kommune 1 a été pour les soixante-huitards, tu l'es pour le mouvement de jeunesse des millennials et de la génération Z: une projection de la rébellion contre la génération de leurs parents.
Tu es probablement encore plus important pour les Gen Z et les millenials. Tu es le catalyseur de l'indignation de la génération X et des baby-boomers. L'indignation face à la critique immanente de leur style de vie et de leurs échecs. Une indignation dont l'unanimité et la fureur laissent aussi penser qu'ils sont un peu touchés.
Parfois, tenir compte systématiquement des minorités est peut-être une bonne idée. Prendre conscience de l'origine coloniale de sa propre prospérité est parfois nécessaire. Et il n'est pas complètement stupide de vouloir remettre en question les rôles traditionnels.
Il n'est pas facile de digérer le fait qu'une nouvelle génération, et non plus soi-même, va marquer l'avenir. C'est de là que vient la grande indignation à ton égard. Pas d'un concert gâché ou d'un uniforme non servi.
Mais ne t'inquiète pas, l'agitation va s'estomper avec le temps.
Les revendications d'égalité et de considération, noyau des valeurs des Woke et des codes culturels de la jeunesse actuelle, se heurteront à la réalité.
Les soixante-huitards ont eux aussi, un jour ou l'autre, commencé à s'intégrer aux institutions et ont réussi à faire passer leurs revendications sous une forme socialement acceptable. Épuisés, après plusieurs années de LSD et de sexe en groupe.
Au moins, tu n'auras pas à subir ce dernier.
Amicalement,
Ton Maurice Thiriet