L'effondrement du pont de Gênes, qui avait fait 43 morts en 2018, a mis en lumière de graves manquements dans la sécurité d'importantes infrastructures chez notre voisine l'Italie. Le piètre état du tunnel du Grand-Saint-Bernard, constaté en 2017, en était l'un des signes. Qu'en est-il après la tragédie du téléphérique de Stresa?
La désactivation volontaire des freins de secours a, pense-t-on, provoqué la chute de l'engin et la mort de quatorze personnes, le dimanche de Pentecôte. Face à ce drame, Olivier Français, conseiller aux Etats vaudois, ingénieur civil EPFL, veut à tout prix éviter l’écueil du «y’en a point comme nous», ce péché d’orgueil des faux modestes.
Olivier Français, qui préside la société suisse d’exploitation du tunnel du Grand-Saint-Bernard, n’en pointe pas moins, avec diplomatie, quelques constantes pouvant expliquer le mauvais état de certaines infrastructures italiennes, le pays de nos vacances et de nos origines pour une partie d’entre nous.
Italie, pas sûre? Mais quel pays peut se targuer d'être sûr à 100%? Il n’empêche, les conclusions de l’enquête sur l’effondrement du pont de Gênes, le 14 août 2018 (43 morts), sont accablantes. Elles ont mis au jour de graves négligences dans l’entretien de l’ouvrage. Le concessionnaire, en charge de l’exploitation, y est visé au premier chef.
Un an avant Gênes, le 21 septembre 2017, c’est une poutrelle de 300 kilos qui s’était effondrée dans le tunnel du Grand-Saint-Bernard, reliant depuis 1964 le canton du Valais au Val d’Aoste, en Italie. Il n’y avait pas eu de victime, mais cet incident avait révélé le mauvais état du tunnel, côté italien.
Un dossier qu’Olivier Français connaît sur le bout des doigts. «Cet incident nous avait amenés, nous tous, Suisses et Italiens, à entreprendre des travaux de maintenance», rappelle le Vaudois. «Mais il est vrai, poursuit-il, que les détériorations constatées sur le tronçon italien du tunnel témoignaient de choix, dans les matériaux de construction, qui n’avaient pas été ceux faits en Suisse.» En clair, c’était moins solide dans la partie transalpine.
«Le grand problème en Italie est le manque d’argent pour les infrastructures de ce type, routes, ponts, tunnels, note Olivier Français. Comparée à la Suisse, l’Italie est un pays immense, tout comme la France. Cela nécessite des investissements conséquents.»
Le deuxième grand problème, identifié par Olivier Français et par bien d’autres s’agissant de l’Italie, c’est la «paperasse», autrement dit, le millefeuille bureaucratique, avec, au sommet, l’Etat central. «L’Italie a de très grands ingénieurs, valant bien les Suisses, mais les structures décisionnelles, dans la matière qui nous concerne, font apparaître des doublons qui peuvent nuire à l’efficacité de la gestion des infrastructures.»
Le conseiller aux Etats vaudois rappelle que c’est après un précédent accident de téléphérique, qui avait fait 13 morts en 1972 à Bettmeralp, dans le canton du Valais, que le processus de décision et de contrôle pour ce type d’installation avait été revu en Suisse. «Des bureaux de contrôle décentralisés, autonomes tant vis-à-vis de Berne que des exploitants de remontées mécaniques, avaient été créés, la responsabilité de la maintenance leur incombant», explique Olivier Français. Ces changements n’ont bien sûr pas abrogé la responsabilité des exploitants pour ce qui concerne le suivi des consignes de sécurité.
La tragédie de Gênes, elle, a provoqué un scandale doublé d’une prise de conscience en Italie. Joint par téléphone, l’ancien directeur de la protection civile du Val-d’Aoste, Silvano Meroi, qui ne veut parler que pour son secteur et pas pour l’ensemble de l’Italie, signale un changement valable toutefois dans tout le pays.
«Désormais, des ingénieurs des universités et des écoles polytechniques sont associés au contrôle des infrastructures telles que ponts et tunnels», explique-t-il. Si bien que ce ne sont plus les sociétés concessionnaires, publiques, privées ou à capitaux mixtes, comme celles gérant le tunnel du Grand-Saint-Bernard côté italien, qui, seules, avec leurs techniciens «maison», ont en charge la sécurité des installations. Cette ouverture à l’expertise académique, gage d’autonomie, a été actée l’an dernier par l’Etat italien.
L’Italie, qui est un peu notre seconde patrie, nous aura, quoi qu’il en soit de ses infrastructures, énormément manqué depuis l’éclatement de la pandémie. Arriviamo amici!