La psychanalyse est dans de sales draps depuis l’éclatement du phénomène #MeToo. Pourtant, elle cartonne sur Arte avec la série «En thérapie», dédiée à la France névrosée. La discipline née avec Freud à la fin du 19e siècle à Vienne, est accusée d’un côté, plébiscitée de l’autre. C’est à n’y rien comprendre. Pas vrai, Jacqueline ?
La Jacqueline en question n’est pas ici la copine de Marie-Thérèse Porchet, mais la psy dans la vidéo parodique de l’humoriste Claude-Inga Barbey diffusée le 15 mars sur le site du Temps, qui a fait scandale dans la communauté LGBT. Face à Jocelyne, patiente transgenre en pleine affirmation de soi, la psy Jacqueline se sent parfaitement inutile. Et même complètement larguée. Comme si la patiente avait pris le pouvoir sur la thérapeute.
Metoo, qui a éclaté en 2017 à la suite de l’affaire Weinstein, est pour beaucoup dans cette inversion des pôles. La parution en 2020 du livre de Vanessa Springora, «Le Consentement» (Grasset), puis au début de cette année de celui de Camille Kouchner, «La familia grande» (Seuil), signal de départ au hashtag #Metooinceste, n’ont fait qu’accentuer la pression sur une méthode de soin que ses détracteurs jugent complice des abuseurs.
L’acte d’accusation contre la psychanalyse sonne comme une condamnation par temps de tribunal révolutionnaire: une discipline au service de la domination bourgeoise et masculine, où les secrets sont bien gardés. Tout le contraire, comprend-on, de la «libération de la parole» introduite par Metoo et dont les femmes sont les grandes bénéficiaires.
Un peu de contexte, ne quittez pas! Dans une tribune parue le 25 janvier dernier sur le site de l’hebdomadaire français L’Obs, la psychanalyste Marie Balmary rappelait les zones d’ombre entourant Sigmund Freud et la difficulté qu’elle avait eue dans les années 1970 à faire entendre la chose suivante: à savoir que le découvreur de l’inconscient «avait été mêlé au déni des abus sexuels», afin, notamment, de protéger quelques notables de sa clientèle.
Une vieux dossier, déjà rouvert de manière assassine par le philosophe français Michel Onfray en 2010 dans son essai «Le crépuscule d’une idole» (Grasset). Quant à Paul B. Preciado, philosophe et activiste trans, il n’avait pas fait le voyage pour rien ce jour de novembre 2019. Invité à donner une conférence devant un parterre de psychanalystes lacaniens (voir le lexique en fin d'article), il qualifiait la psychanalyse de «discipline hétéro-patriarcale» ou «patriarco-coloniale». L'assistance avait encaissé.
Alors, tout dégueu, la psychanalyse? Complice des saloperies des puissants? Rétentrice de la parole des femmes? Psychanalyste à Genève, tendance jungienne et pas freudienne (pareil, voir le lexique en fin d’article), Damien Halgand-Moreau répond aux attaques. «La psychanalyse, c’est par essence la parole libérée. L’accuser aujourd’hui d’avoir entretenu le silence sur des crimes sexuels participe de la recherche d’un coupable à offrir en pâture à la vindicte populiste. Pour un thérapeute, le prolongement logique de la révélation d’un crime sexuel lors d’une thérapie est que la victime puisse saisir la justice.»
Soit. Mais pas plus qu’il ne se veut complice d’abuseurs, le psy ne se voit en auxiliaire de police. Il reste que: «S’il y a une vie en danger, qu’une personne nous annonce son désir de fomenter un assassinat, évidemment une question éthique se pose pour notre part », assure le Genevois.
Ce confrère lausannois souhaite garder l’anonymat. «Il faut bien comprendre que le processus thérapeutique vaut pour les victimes mais aussi pour les bourreaux, dit-il. La thérapie n’entre pas en contradiction avec une procédure judiciaire.» Pour certains, l'écoute accordée à une parole qui peut être scandaleuse dans ce qu'elle révèle sera sans doute déjà de trop.
«Le psychanalyste a l’individu comme objectif, pas la société, replace Damien Halgand-Moreau. C’est pour cela que le psy va plutôt aider la personne à se soigner, à comprendre ce qui ne va pas, naturellement pas à l’encourager dans ses dérives. Il faut que le patient puisse aborder des comportements graves avec nous. Si le psy se pose comme une ligue de vertu ou comme un prêtre en juge de la morale, ça stérilise tout rapport thérapeutique.»
Damien Halgand-Moreau salue la sortie du livre «La familia grande» de Camille Kouchner, qui a le mérite selon lui de «libérer la parole», sur un tabou, l’inceste. «Quand les choses sont dans l’inconscient, elles sont très puissantes, note-t-il. Des comportements incestueux, criminels et destructeurs d’un enfant dans sa propre famille, peuvent rester actifs tant que les choses ne sont pas dites.»
Contrairement à Jacqueline, la psy caricaturée par Claude-Inga Barbey dans sa vidéo polémique, Damien Halgand-Moreau ne se considère pas désemparé face aux transgenres. «J’ai des personnes LGBT en analyse, confie-t-il. Le projet pour moi est d’amener l’individu à découvrir et à embrasser qui il est avec plus de joie, de légèreté et d’harmonie, quels que soient son genre, son orientation sexuelle et son origine culturelle.»
Et maintenant, le gant de crin. «Les divers Metoo ne remettent pas en cause mon métier, estime le psychanalyste genevois. En revanche, ils mettent en lumière une problématique qui est celle de la quête du moi. Des individus sont en souffrance, mais d’autres cherchent juste à être dans la reconnaissance.»
«Face aux agitations, nous devons rester calmes, prône, comme à lui-même, Damien Halgand-Moreau. La vie se déroule, la caravane passe et la souffrance humaine, elle, devrait être notre seule et unique cible.»