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Dans l'affaire Séverine Chavrier, Genève joue sa réputation

La Comédie de Genève. La cheffe de la Culture Joëlle Bertossa (à gauche), la directrice de la Comédie Séverine Chavrier.
La Comédie de Genève. La cheffe de la Culture Joëlle Bertossa (à gauche), la directrice de la Comédie Séverine Chavrier. Image: keystone

Genève s’enlise dans un scandale où elle joue sa réputation

Genève ne sait pas comment se dépatouiller de la situation très inconfortable dans laquelle elle s'est mise en écartant Séverine Chavrier, la directrice de la Comédie, la grande scène théâtrale de la ville. Enquête.
19.12.2025, 20:5420.12.2025, 17:42

Avertissement: cet article a été rédigé peu avant l'annonce, ce vendredi, sur le site du média français «Télérama», que Séverine Chavrier ne serait pas reconduite à la direction de la Comédie de Genève à la fin de son mandat en 2027. Mais cela ne change rien au fond de l'affaire.

Il est décidément plus facile de commencer une guerre que d’y mettre fin. Genève ne sait pas comment se dépatouiller de l’«affaire Séverine Chavrier», du nom de la directrice de la Comédie, la grande scène dramatique de la ville. Depuis le 24 novembre, elle est indésirable dans le théâtre qu’elle est censée dirigé. Ainsi en a décidé la FAD, la Fondation d’art dramatique, l’organe de tutelle de la Comédie.

Bonne pour l’échafaud

A l’origine de cet éloignement contraint, un audit sur le «climat de travail», consécutif à la publication, le 22 octobre dans la presse genevoise, d’accusations anonymes reprochant à Séverine Chavrier un management fait de «discriminations», d’«humiliations» et de «dénigrement au travail», ainsi qu’une indifférence pour la production locale. Le coup de grâce est porté par une rumeur lui attribuant la paternité d’un acronyme infamant, PPSDM, soit «petites productions suisses de merde». Notre Marie-Antoinette est bonne pour l’échafaud.

Sauf que la Franco-suisse Séverine Chavrier n’a jamais prononcé PPSDM et qu’elle est plutôt respectueuse de son cahier des charges s’agissant de la coopération avec la scène locale, apprend-on dans les jours suivant l’éclatement du scandale. Aurait-on cherché à lui nuire?

«Management toxique»

Reste l’accusation de «management toxique» émanant d’employés de la Comédie défendus par le Syndicat suisse romand du spectacle (qui a salué la décision de la FAD de ne pas reconduire le mandat de Séverine Chavrier en 2027). D’où l’audit sur le climat de travail ordonné par la FAD, qui s’ajoute à un premier audit sur les comptes de la Comédie demandé par Joëlle Bertossa, la magistrate en charge de la culture à la ville de Genève.

L'«appel» en sa faveur

Acharnement? Dans un «appel» publié il y a trois jours, une centaine de «citoyennes et citoyens» prennent la défense de la directrice de la Comédie. Ils dénoncent «le déferlement indigne des insultes, attaques haineuses et campagne de désinformation à l’encontre de Séverine Chavrier» et condamnent «la décision choquante de l’exclure du théâtre».

La force de cet appel, outre qu’il réunit des noms importants du théâtre, de Suisse comme de France, tient à la grande diversité politique de ses signataires. Des personnes opposées à peu près sur tout le reste du temps font ici front commun. Parmi elles, la PLR Michèle Roullet, élue au conseil municipal (législatif) de la ville de Genève, qui n’avait pas hésité à prendre la défense de Séverine Chavrier dans Le Temps, réclamant pour elle le bénéfice de la présomption d’innocence, l’ancien maire de Genève Rémy Pagani, issu de la gauche radicale, l’un des participants de la dernière flottille pour Gaza, ainsi que des Verts.

Une ex-élue verte: «Je ne peux pas cautionner ça»

L’écologiste Marie-Pierre Theubet, ancienne présidente de conseil municipal et ex-membre de la FAD, a cosigné l’appel en faveur de Séverine Chavrier. Elle explique pourquoi à watson.

«Je ne peux pas cautionner le fait qu’on l’empêche d’aller dans son théâtre, alors qu’elle en est la directrice artistique. Elle n’a sûrement pas tout juste, mais ce n’est pas une raison pour se comporter ainsi avec elle. Pour elle, c’est un dégât d’image.»
Marie-Pierre Theubet (Verte), ancienne présidente de Conseil municipal de Genève

«Les employés prennent le pouvoir»

Marie-Pierre Theubet note ensuite que «c’est la deuxième fois en quelques années que les employés prennent le pouvoir, imposant leurs volontés à la direction et organes de tutelle, comme s’ils ne supportaient plus la moindre contrariété venant d’un metteur en scène ou d’une direction de théâtre». L’ancienne présidente du conseil municipal fait allusion à l’annulation en juin 2023 – Séverine Chavrier ne dirigeait pas encore la Comédie – du spectacle Les Emigrants, mis en scène par le Polonais Krystian Lupa, «monstre sacré du théâtre européen». Les employés de la technique n’avaient pas supporté le style jugé cassant du metteur en scène.

Dans l’affaire Chavrier, Genève encourt aussi un «dégât d’image». Elle joue sa réputation de ville garante des droits de l’homme. Il serait malvenu d’apprendre qu’une directrice d’un théâtre en vue a été victime d’une sombre machination ourdie par des personnes jalouses.

«Genève a tout à perdre de cette affaire»

C’est ce que pense l’avocat de Séverine Chavrier, Me Christian Ferrazino, ancien membre du conseil administratif (exécutif) de la ville de Genève, issu du parti Solidarités (gauche radicale).

«Genève a tout à perdre de cette affaire que certains s’ingénient à faire monter artificiellement»
Me Christian Ferrazino, avocat de Séverine Chavrier

Il ajoute: «La FAD a pris une décision dans l’urgence (réd: la mise à l'écart de la directrice) avant de connaître le résultat de l’audit sur le personnel. Il serait judicieux que Séverine Chavrier soit réintégrée dans son théâtre le plus tôt possible.»

Les socialistes pointés du doigt

Le Parti socialiste pourrait se retrouver dans l’embarras, entend-on dans la coulisse de l’affaire Chavrier. Alors que la conseillère administrative Joëlle Bertossa, une socialiste, avait donné l’impression de protéger la directrice de la Comédie après les premiers articles sortis dans la presse, elle a semblé la lâcher, laissant la FAD prononcer sa mise à l’écart. Or la présidente du Conseil de la FAD, Lorella Bertani, est aussi socialiste. Et les ennuis rencontrés dans son théâtre par Séverine Chavrier pourraient aussi avoir une origine socialiste.

En termes plus artistiques, une bonne connaisseuse du théâtre genevois attribue à Joëlle Bertossa une sensibilité qui la rendrait proche des milieux alternatifs, associés, à Genève, à la mythique culture «squat» des années 80-90.

Par ailleurs, deux metteurs en scène reconnus ont, dans le cadre de cette affaire, pris une position critique face au théâtre dit institutionnel. Dominique Ziegler s'était, dans la Tribune de Genève, rangé contre «un conglomérat de notables perméables au bling-bling et qui ne sont pas assez fiers de la création locale».

Le paragraphe précédent a été corrigé après publication.

Le metteur en scène genevois José Lillo, qui prend souvent la plume sur Facebook pour partager des indignations, n’a, de son côté, pas caché son hostilité à Séverine Chavrier.

«Mais contrairement à ce que disent certains, je n’ai pas demandé son départ. J’ai écrit que si les reproches formulés à son endroit étaient vrais, alors, elle devrait s’en aller. Une nuance de taille»
José Lillo, metteur en scène, joint par watson

«Précarité»

A l’affiche du Théâtre Pitoëff à Genève jusqu’à la fin de la semaine avec son adaptation de La République de Platon – «on est en plein dans le sujet», dit-il –, José Lillo dénonce auprès de watson «la précarité des comédiens et metteurs en scène du milieu théâtral genevois».

«Seuls les dirigeants de quelques théâtres n’ont pas à se plaindre, le reste est placé, au mieux, sous le régime, précaire par nature, de l’intermittence»
José Lillo

Ce que José Lillo souhaiterait, c’est un partage plus équitable des ressources allouées au milieu théâtral. Or Séverine Chavrier incarnerait une conception élitaire, aristocratique du théâtre et du rôle social prêté à celui-ci.

Dans l’entourage de Joëlle Bertossa, qui dispose d’un siège à la FAD mais qu’elle n’occupe pas, apparemment une sorte de tradition, on rappelle que «le but n’est pas du tout de se débarrasser de Séverine Chavrier».

«On est simplement dans un processus d’audit qui doit être mené à son terme. L’audit confié à la cour des comptes devrait durer plus longtemps que celui sur le climat de travail, qui a motivé la mise en retrait de Séverine Chavrier.»
Un membre de l'entourage de Joël Bertossa

Le contrat de la directrice doit arriver à échéance en 2027, terme de son premier mandat à la Comédie de Genève. Il pourrait ne pas y en avoir un deuxième. Pour Joëlle Bertossa, ce serait aussi une manière de marquer de son empreinte la vie culturelle et de faire jouer son réseau, elle qui n'a pas eu la main sur la nomination de Séverine Chavrier en 2022 à la tête du navire amiral du théâtre genevois.

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