La prochaine session du Parlement promet d'être riche. L'approvisionnement énergétique devrait continuer d'être au centre des débats, mais surtout, le Conseil national doit élire, le 7 décembre, deux nouveaux conseillers fédéraux.
A la manœuvre pour gérer cet évènement, un autre politicien fraîchement élu à son poste: Martin Candinas, à la tête du Conseil national. Le centriste des Grisons remplacera Irène Kälin au perchoir de la chambre basse du Parlement lundi, après y avoir passé une année comme vice-président.
Un honneur pour ce romanchophone, qui compte bien profiter de son année présidentielle pour rappeler à Berne l'importance de la quatrième langue nationale. watson est allé lui rendre visite dans son fief, Rabius, dans le district de Surselva, dans les Grisons.
Vous êtes un des rares politiciens de ce pays à parler couramment les quatre langues nationales, y compris le romanche, qui est votre langue maternelle. C'est une fierté?
Martin Candinas: Nous ne sommes que trois romanchophones au Parlement, ce qui fait de nous une petite minorité. J'apprécie particulièrement le caractère plurilingue de notre pays et oui, j'en suis fier. Il faut en prendre soin.
Vous vous êtes déjà exprimé en romanche au sein du Conseil national, alors que vous en étiez le vice-président, notamment lors de plusieurs votes durant cette dernière année. Quelles ont été les réactions?
Il est important de pouvoir entendre du romanche au Parlement. Ce n'était évidemment pas pour montrer que je maîtrise cette langue, mais pour rappeler qu'elle fait partie de la culture et de l'identité suisse.
(réd: il fait référence à un autre Grison, le socialiste Martin Bundi, à la tête du Conseil national en 1985-86).
Etait-ce aussi une manière de vous montrer auprès de votre électorat des Grisons?
Les Romanches savent bien que je suis l'un des leurs. Le romanche est ancré dans plusieurs régions, comme ici à Rabius, où les gens se parlent dans cette langue sur la place du village.
N'y a-t-il pas des lacunes en termes de politique linguistique au sein de la Confédération? Plusieurs textes de loi ne sont par exemple pas traduits en romanche. Un exemple parmi d'autres: la loi sur les allocations fédérales pour pertes de gain, qui date pourtant des années 1950...
Nous ne sommes pas des fondamentalistes qui voudraient que tout soit traduit en romanche. Ce qui est important, c'est que tous ceux qui s'adressent à la Confédération en romanche puissent recevoir une réponse en romanche. Et c'est ce qu'elle fait depuis 25 ans.
Pourtant, Berne a prévu des documents explicatifs dans d'autres langues étrangères, comme en portugais. Certaines pages du site de la Confédération sont traduites en anglais, mais pas en romanche. N'est-ce pas un peu injuste?
C'est normal de faire traduire des documents concernant des thématiques importantes. Typiquement, durant la pandémie de Covid, il fallait pouvoir informer autant d'habitants de la Suisse que possible et des documents ont été traduits dans d'innombrables langues. Mais il serait problématique d'aller plus loin et, par exemple, d'enseigner à l'école dans une langue étrangère.
La politique doit soutenir les efforts de plurilinguisme, mais pas en faisant des langues étrangères des égales des langues nationales.
Vous êtes donc contre une utilisation excessive de l'anglais?
L'anglais, ce n'est pas vraiment mon truc. Je préfère m'en tenir aux quatre langues nationales.
Lors de la dernière session, le groupe UDC a tourné le dos au Conseil national pour protester contre un changement de titre de loi portant sur le climat. Que pensez-vous de ce genre d'actions? Doit-on les tolérer au Parlement?
J'ai du mal avec ce genre d'actions au Parlement. Si on y siège, c'est pour prendre des décisions démocratiques, il faut avoir les reins solides. J'estime que nous n'avons pas besoin de ce genre d'évènements, de n'importe quel parti que ce soit.
On peut être dur dans ses opinions, mais il faut respecter les décisions finales et c'est celles-ci qui comptent.
Ce n'est pas la «manière suisse» de régler les problèmes?
C'est ça. La Suisse a le meilleur système politique au monde. Et il faut en prendre soin. Si l'on n'est pas d'accord avec une décision de la majorité au Parlement, il reste la possibilité de consulter le peuple par référendum.
Vos prédécesseurs avaient tous leur style. Deux exemples: en 2008-09, Chiara Simoneschi-Cortesi n'hésitait pas à interpeller les parlementaires dans la salle de manière très directe. L'actuelle présidente du Conseil national, Irène Kälin, est plutôt décontractée. Et vous?
La discipline, c'est important. En même temps, je ne veux pas être un donneur de leçons. Entre les deux, c'est un exercice d'équilibriste, il faudra voir comment les parlementaires se comportent. Je présiderai l'assemblée durant une année, mais je ne serai pas un genre de grand chef. Je suis persuadé que cela fonctionnera bien.
Allez-vous imposer un «style Candinas»?
Pour moi, le plus important, c'est de diriger efficacement le Conseil national. Je serai au service du Parlement et du peuple, c'est ma priorité. C'est la tâche qui compte et pas la personne. On est élu pour ça, pour faire un bon travail et non pas pour se montrer comme président du National. Je vais m'approprier mes devoirs représentatifs et je mettrai la fonction au centre.
Dès votre deuxième semaine, vous devrez présider la séance de couronnement de deux conseillers fédéraux. Comment se prépare-t-on à un tel évènement?
Nous discuterons en réunion de toutes les éventualités afin que tout ait lieu optimalement le jour du vote.
En tant que «premier citoyen» du pays, une de vos tâches est de promouvoir la cohésion nationale. Les citoyens sont très polarisés sur certains sujets, comme la pandémie ou la crise climatique. Quel est votre avis sur la Suisse d’aujourd’hui? Sommes-nous trop pessimistes?
Les Suisses ont vécu cette crise comme dans d'autres pays, où la polarisation était plus palpable encore. Il faut s'en réjouir. Il faut se rappeler que grâce à la diversité de notre pays, nous sommes restés unis: les Genevois, les Tessinois comme les Bâlois. Ça, c'est une force, et il faut faire attention à garder intacte cette unité.
C'est une des missions du monde politique d'insuffler de l'optimisme. Nous vivons dans un pays formidable et il faut en prendre soin.
Qu'est-ce qui fait la cohésion de la Suisse, en 2022?
Le caractère quadrilingue et la diversité de la Suisse, ainsi que la démocratie et le système politique. L'année prochaine, la Constitution aura 175 ans. Ce sera le moment de réfléchir à notre système, mais aussi de se rendre compte du privilège que nous avons de vivre ici.
Et au contraire, qu'est-ce qui divise la Suisse, en 2022?
Sur la question du climat, les opinions d'une partie de la population sont parfois un peu extrêmes.
Il faut faire les choses pas à pas, prendre ses responsabilités individuellement, mais faire des efforts ensemble pour trouver des solutions, à gauche comme à droite. Nous avons la démocratie la plus directe en Europe. La population peut exprimer ses opinions dans notre système politique. C'est ça qui doit être notre force.