Dans quelques jours, la population suisse décidera du destin de l'initiative populaire qui vise à interdire l'élevage intensif. Si l'habituel combat d'affiches est bien visible dans les rues et les campagnes du pays, un détail saute aux yeux: les opposants ont axé leur campagne sur des émojis. On ne parle pas de smiley ou d'autres éléments similaires, mais bien des pictogrammes qu'on retrouve sur Whatsapp et les réseaux sociaux.
Le recours à ce type de langage est inhabituel dans une campagne politique «officielle», du moins en Suisse. On a profité de l'occasion pour poser quelques questions à ce sujet à Sébastien Salerno, qui enseigne la sociologie des médias numériques et la communication politique à l'Université de Genève.
Quel est l’intérêt d’utiliser des émojis dans la communication politique?
Sébastien Salerno: Le recours à ce type de langage a généralement deux objectifs. Le premier est de capter l'attention. L'émoji, comme d'autres types de contenus devenus populaires grâce à la culture numérique, s'adresse à nos yeux.
Son efficacité est telle qu'il ne se cantonne pas à la communication via les appareils connectés. Il intègre également plusieurs types de supports, tels que le livre ou l'affiche, et de textes, comme le roman, ou le slogan.
Et le deuxième objectif?
L'émoji est beaucoup utilisé dans les échanges et les conversations personnelles menés avec nos proches. Y recourir dans le cadre d'une communication interpersonnelle, comme par exemple une campagne politique, vise à établir une communication chaleureuse avec ses destinataires.
En s'appuyant sur des émojis à la place des arguments, ne risque-t-on pas d’infantiliser les votants?
Non, je ne crois pas. L'image est un outil de communication depuis des siècles et l'usage que les organisations politiques en font suit l'évolution de la technologie. Au XIXe siècle, grâce au développement de l'imprimerie et via le support du poster, les partis politiques des régimes démocratiques recouraient déjà massivement aux images. Le siècle suivant, ils ont investi les médias électroniques: le spot TV en est le meilleur exemple. Et plus récemment, les partis sont présents dans les médias sociaux et plateformes de streaming depuis leur début.
Elle est à la fois utilisée et redoutée de par ses multiples et divers effets. On distingue ces derniers par leur intensité, durabilité et échelle d'observation, à savoir si elle suscite des émotions individuelles ou collectives. L'utilisation de l'émoji sur cette affiche de campagne semble engendrer des effets de basse intensité, peu durables, pour le moment.
De manière générale, peut-on affirmer que la communication politique devient plus basique?
La communication politique s'adresse à la fois à la masse et à des cibles électorales. Les organisations politiques font usage de répertoires au sein desquelles se mêlent des techniques très anciennes, comme le porte-à-porte ou la distribution de documentation, et actuelles, comme le ciblage sur les médias sociaux. Les répertoires restent déterminés par les ressources dont disposent les organisations politiques, par la culture politique et par la loi.
Les émotions sont-elles toujours mises en avant, au détriment des arguments factuels?
Cela dépend d'un cas à l'autre. Au sein des répertoires des organisations politiques, on trouve des techniques privilégiant les émotions tout comme les arguments. Les premières sont notamment véhiculées par affiches en campagne référendaire, alors que les deuxièmes comprennent la diffusion d'arguments via les livres, les podcasts, les documentaires, ou dans le cadre d'un stand ou d'une assemblée. Dans ces cas, les arguments peuvent être dépliés sur plusieurs pages ou plusieurs minutes, voire plusieurs heures.