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Interview

Alexandra, militante climatique et condamnée: «On se sent insultés»

Alexandra, militante climatique et condamnée: «On se sent insultés»

Alexandra Crédit Suisse
Des policiers en train d'évacuer Alexandra, le 8 juillet 2019 à Zurich. Image: Collective Climate Justice Switzerland
Alexandra, étudiante genevoise de 23 ans, fait partie des neuf militants du climat condamnés vendredi à Zurich suite à leur action devant le Crédit Suisse, en 2019. Pour elle, si le jugement en dit surtout beaucoup sur le système juridique, les choses commencent à bouger. Et pas question d'arrêter la lutte.
17.05.2021, 05:5517.05.2021, 10:36
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Vendredi, le verdict est tombé: coupables! Les neuf militants du climat, dont sept romands, ont été condamnés pour contrainte et violation de domicile par le Tribunal de district de Zurich. Le 8 juillet 2019, ils s'étaient cadenassés devant l’entrée du siège de Crédit Suisse à Zurich avec une cinquantaine d'autres activistes. Leur but: bloquer l'accès à la banque pour dénoncer ses investissements dans les énergies fossiles.

Quelle conséquence aura cette condamnation sur leur combat? Que vont-ils faire maintenant? watson s’est entretenu avec Alexandra, une étudiante et activiste genevoise de 23 ans qui a comparu devant les juges.

Vendredi, le Tribunal de district de Zurich vous a reconnus coupables. Vous pensiez pouvoir gagner?
Alexandra: Je n'étais pas très optimiste pour ce jugement. En Suisse, le système légal est aussi là pour protéger les intérêts financiers et privés. Par défaut, il va plutôt favoriser la protection des entreprises, plutôt que la sauvegarde d'un avenir pour les prochaines générations. Il faut vraiment des juges courageux et courageuses pour aller à l'encontre de ça, comme cela a été le cas à Bâle, où à Lausanne en première instance (où les militants climatiques ont été acquittés).

Les militants ont perdu deux procès sur trois contre des grandes banques en Suisse. Votre stratégie semble inefficace, non?
Je pense que cela dit beaucoup sur l'état du système juridique en ce moment. Les activistes qui ont participé à l'action à Lausanne ont été acquittés en première instance pour être condamnés en deuxième. A Bâle, ils ont été acquittés, alors qu'à Zurich on est condamnés. Pour moi, cela démontre que le droit ne sait pas trop encore comment se positionner par rapport à toutes ces actions. J'ai l'impression qu'on est à un potentiel point de bascule, mais pour l'instant c'est juste très confus, et au final tout tient sur la décision du juge.

Concernant l'efficacité de l'action, personne pensait qu'elle contribuerait à faire baisser le réchauffement climatique, ce n'était pas notre but. L'objectif était de sensibiliser le public, de faire en sorte qu'on puisse avoir une discussion publique sur ces questions. Et pour ça, notre action était totalement adaptée. On a voulu rendre visible un problème dont on ne parlait pas du tout.

On dirait presque qu’une condamnation vous arrange…
Même si ce n'était pas l'objectif principal, le procès a permis de continuer cette sensibilisation et d'avoir cette discussion. Après, être acquitté c'est mieux qu'être condamné, bien sûr.​

Ces actions sont finalement très ponctuelles. Ne vous manque-t-il pas un plan d’action plus global?
On nous dit souvent que nous devrions recourir à d'autres modes d'action plus légaux. En fait, on le fait déjà, et depuis des années. On va aux manifs, on fait des pétitions, on essaie des initiatives, on est actifs sur les réseaux sociaux, dans la rue et dans les écoles pour sensibiliser la population. Nous organisons des campagnes qui durent depuis des années. Parfois, ça se manifeste par des actions ponctuelles, physiques, comme le blocage d'une banque. Mais il y a beaucoup de mobilisation qui se fait en parallèle.​

Ça fait peur de se retrouver comme ça devant la grande machine judiciaire?
Non, pas trop. Je ressens plutôt beaucoup de frustration, qui vient énormément du fait qu'à chaque fois, c'est de l'argumentation bancale qui est mobilisée contre nous. La plupart d'entre nous se renseigne sur ces sujets depuis des années, parfois c'est notre domaine d'études, alors que de l'autre côté, comme à Zurich justement, le procureur fait sa plaidoirie sur des arguments qui ne tiennent pas la route, qui sont un ramassis de clichés.

«On se sent insultés d'être relégués au rôle de jeunes naïfs, qui pensent qu'en s'asseyant devant le Crédit Suisse, le réchauffement climatique ne va pas avoir lieu, alors que c'est plus nuancé que ça»

Après l'intervention de la police en 2019, vous avez passé deux jours en détention. Que retenez-vous de cette expérience?
C'était une expérience assez absurde. Personne ne s'attendait à une telle réaction de la part de la police zurichoise. Pour moi, ça met en lumière à quel point la répression augmente quand on s'attaque à ces structures superpuissantes. Une soixantaine de personnes ont passé 48 heures en prison pour s'être assises par terre devant une banque.

«Plusieurs personnes mineures ont aussi été emprisonnées, c'était vraiment la confusion et l'absurdité la plus totale»

En Suisse, 40% des émissions de gaz à effet de serre sont générées par les transports, près de 20% par le chauffage des ménages. Pourquoi cibler Crédit Suisse? Vous ne vous trompez pas de cible?
Souvent dans ces chiffres, on regarde ce qui est produit sur le territoire suisse, alors que des entreprises multinationales comme Crédit Suisse exportent une énorme partie de leurs émissions. Elles ont lieu dans d'autres pays plus loin, où on n'en parlera pas, alors que la Suisse peut garder un bilan carbone apparemment pas trop mauvais. Ces émissions ont lieu ailleurs, mais sont causées par des entreprises suisses.

En ciblant Crédit Suisse, vous vous attaquez plus largement au capitalisme?
Bien sûr, on s'inscrit dans une approche anticapitaliste. Le système économique global va de pair avec la destruction des ressources et des écosystèmes, ainsi que la violation des droits humains. Le capitalisme rentre dans cette même approche, car il permet toutes ces oppressions globales. Ces luttes sont imbriquées les unes dans les autres et se renforcent elles-mêmes.

La crise climatique frappe aussi les humains, surtout dans les pays les plus pauvres. Pourquoi alors ne pas axer votre message sur la mort de l’espèce humaine, plutôt que sur la nature?
On a l'espoir de faire les deux. Le cas du Crédit Suisse est particulièrement révélateur et montre pourquoi il est essentiel de parler à la fois de l'aspect environnemental et humain. Cette banque est connue pour les violations des droits des communautés indigènes. Même si on essaie de pousser ces deux discours, les médias ne retiennent souvent que la partie environnementale. Pour nous, c'est essentiel de faire les deux.

Vous allez porter l'affaire de Crédit Suisse devant le tribunal fédéral. Quel est votre objectif «ultime»?
Notre objectif est d'être acquittés et, de préférence, de faire reconnaître l'état de nécessité. Je vois qu'il y a un changement dans l'opinion publique, que les investissements des banques font partie de la discussion autour du changement climatique en Suisse. Des sujets qui étaient totalement absents du discours public, maintenant en font partie. Il y a du changement mais ça prend du temps à se mettre en place. Ce qui est vu comme acceptable n'est pas totalement défini et peut évoluer. C'est important qu'on continue à garder la pression.

Le blocage du siège du Crédit Suisse à Zurich en images

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Le blocage du siège du Crédit Suisse à Zurich, 2019

source: collective climate justice switzerland
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