La situation se péjore en Suisse. Chaque canton y va de sa solution, sans réelle concertation. Ne serait-il pas plus simple de rendre la vaccination obligatoire?
MÉLANIE LÉVY: C’est effectivement la question à se poser maintenant. La situation est inquiétante, les infections et les hospitalisations augmentent, les lits aux soins intensifs se remplissent. Le taux de vaccination en Suisse est trop bas. La loi fédérale sur les épidémies prévoit que les cantons et la Confédération peuvent rendre la vaccination obligatoire, mais seulement pour certains groupes. Je pense ici aux groupes à risque ou ceux particulièrement exposés. Mais soyons clairs, il serait impossible de décréter une obligation générale.
Pourquoi?
L’état actuel de la loi fédérale sur les épidémies ne le permet pas. De plus, la question de la proportionnalité d’une mesure étatique est un élément essentiel en droit suisse. Dans le cas présent, il doit y avoir une pesée d’intérêts entre la liberté individuelle et l’objectif de santé publique poursuivi. En Suisse, nous considérons que la vaccination est tout d’abord une décision individuelle.
Désolée d’insister, mais ce Covid est considéré comme un réel danger pour notre société, tant du point vue sanitaire qu’économique…
Certes, mais ce n’est pas suffisant pour généraliser l’obligation de se vacciner. Outre la vaccination, certains milieux peuvent mettre en place des mesures de protection pour assurer la sécurité du personnel et des patients ou clients par exemple. En revanche, les cantons et la Confédération peuvent rendre obligatoire la vaccination dans les groupes exposés ou à risque. En premier lieu, le domaine médical, comme les hôpitaux, les EMS. Il s’agit de protéger les personnes vulnérables (les patients) et également le personnel exposé à des risques de contamination.
Pourtant tous les cantons n’obligent pas le personnel soignant à se faire vacciner, Genève, Zurich, Jura oui, mais les autres non...
Il faudrait mettre en place une solution uniforme, décidée par les cantons entre eux ou par la Confédération. Il faut agir maintenant. Si on attend trop, on court potentiellement un grand danger. Regardez ce qu’il s’est passé l’année dernière. Après de longues hésitations, la 2ème vague s’est abattue en octobre, faisant beaucoup de morts.
Outre le domaine médical, est-ce que l’Etat pourrait obliger d’autres professions à se vacciner ?
Ce serait tout à fait possible d’agir dans le milieu de l’enseignement, des garderies aux universités. Il s’agit d’espaces fermés qui sont souvent mal aérés. Aux USA, par exemple, les étudiants qui veulent accéder au campus doivent être vaccinés, sinon, ils suivent les cours de la maison.
En résumé, la Suisse ne peut obliger personne à se vacciner, sauf exception des groupes à risque ou exposés. C’est juste ?
Et là encore, le certificat COVID prévoit 3 scenarios : vacciné – guéri – testé. Cela offre une alternative aux personnes qui ne peuvent ou ne veulent pas se faire vacciner, parce qu’elles sont immunodéprimées par exemple ou enceintes. J’aimerais également préciser qu’en Suisse, lorsqu’on parle d’obligation de se faire vacciner, il n’est aucunement question de contrainte physique. La personne peut toujours opter pour les tests. Ou l’employeur peut déplacer le collaborateur dans un autre service.
Un employeur est-il en droit de licencier une personne parce qu’elle refuse de se faire vacciner ?
Le licenciement est toujours un acte ultime. D’autres mesures sont préférables du point de vue du droit, comme le déplacement par exemple d’un infirmier qui refuse de se faire vacciner vers un service où il est moins en contact avec des personnes vulnérables. Un licenciement n’est toutefois pas complètement exclu. Il y a quelques années, le Tribunal administratif du canton de St-Gall a confirmé le licenciement d’une employée d’un hôpital public qui refusait le vaccin obligatoire contre l’hépatite B.
Pourtant, certains établissements décrètent maintenant n’engager que des personnes vaccinées, comme les HUG…
Oui, et c’est légal. L’employeur peut donner ce genre de directives comme critère de recrutement. Il faut évidemment que la mesure soit justifiée. Et c’est encore plus vrai dans le privé. Le centre médical des Cadolles à Neuchâtel a d’ailleurs annoncé qu’il n'allait engager que du personnel médical et administratif vacciné.
Imposer la vaccination, restreindre l’accès à des lieux publics aux non-vaccinés, ne s’achemine-t-on pas vers une société à 2 vitesses ? N’est-ce pas de la discrimination ?
Non, d’un point de vue du droit, on ne peut pas parler de discrimination, comme par exemple préférer une nationalité ou un genre plutôt qu’un autre.
Que dire de Mauro Poggia qui voulait faire passer à la caisse les non-vaccinés hospitalisés ? N’est-ce pas discriminatoire ?
Du point de vue du droit, ces propos ne tiennent pas la route. En Suisse, fort heureusement, notre système de soins et la loi fédérale sur l’assurance-maladie prévoient de soigner et prendre en charge toutes les personnes malades, indépendamment d’une conviction personnelle ou faute de leur part. Être soigné est un droit.
Au fond, ces menaces sont de l’ordre du discours politique et ne reposent sur aucune base légale ?
Personnellement, il me semble que les incitations directes ou indirectes sont beaucoup plus efficaces que les menaces. Cela peut être des incitations financières, comme dans une commune du canton de Schwyz. Les employés vaccinés reçoivent 100 francs et le personnel des Hôpitaux et EMS un bon d’achat de 200 francs. Ce n’est pas rien 200 francs. Et ça marche !
Le taux de vaccination a considérablement augmenté. Une incitation indirecte est bien évidemment le certificat COVID qui limite l’accès à certains lieux publics aux personnes vaccinées, guéries ou testées. Finalement, la vaccination est un geste de solidarité, et le certificat COVID permet à ces personnes de retrouver une bonne partie de leurs libertés.