Son post sur Facebook a été liké 33 000 fois, commenté près de 6000 fois, partagé 29 000 fois. Romancier à succès, auteur de polars, le Neuchâtelois Nicolas Feuz, procureur de métier, a fait un carton sur le réseau social en s’opposant fermement à la réécriture de passages jugés offensants dans les œuvres d'écrivains célèbres. Parmi eux, la légendaire Agatha Christie, décédée en 1976, mais restée bien vivante à travers ses héros Hercule Poirot et Miss Marple, entre autres.
Pour commencer, pouvez-vous rappeler très exactement les mots de votre post Facebook, qui vous a valu une avalanche de commentaires quasi tous approbateurs?
Voilà ce que j’ai écrit: «Ceci est mon testament. La bêtise humaine ne connaît pas de limite. Les mots qui me viennent à l'esprit sont: irrespect et mépris à l'égard des auteurs, atteinte à la paix des morts et tant d'autres.» A la suite de quoi et sur le même sujet, j’ai reproduit le manifeste de Sonja Delzongle, qui est auteure, comme moi, de polars.👇
Pourquoi êtes-vous contre ces modifications apportées à des passages reproduisant des expressions ou stéréotypes ayant, ou pouvant avoir une connotation raciste?
A mon sens, on ne doit pas toucher aux œuvres du passé. Pour la raison qu’elles reflètent la société, les sociétés en général, à des moments précis de l’Histoire. Dénaturer l’œuvre d’un auteur, qui plus est décédé, sauf consignes données de son vivant, ne devrait pas être permis.
Les éditions du Masque, qui éditent en français les romans d’Agatha Christie, vont procéder à des changements. Dans «Mort sur le Nil» (1937), on modifiera le passage où l'un des personnages se moque du nez d'un groupe d'enfants. Dans «La Mystérieuse Affaire de Styles» (1920), on ne fera plus dire à Hercule Poirot, à propos d'un autre personnage, «un Juif, bien sûr». A quoi attribuez-vous cela?
Or nous avons besoin de repères historiques pour nous situer dans le présent. Mais tout le monde ne se plie pas à la mode woke. Si les éditions du Masque s’apprêtent à effectuer des modifications dans l’œuvre d’Agatha Christie, apparemment Gallimard, l’éditeur français de Roald Dahl, a décidé de ne pas retoucher les livres jeunesse de cet auteur britannique, contrairement à l’éditeur anglais. Mais il y a peut-être une autre raison qui expliquerait ces changements.
Quelle autre raison?
Il semblerait que les modifications soient faites à la demande des descendants, ceux qu’on appelle les ayants droits. Je vous livre une hypothèse: il est possible que les ayants droits, sous couvert de pression wokiste, veuillent procéder à des changements de façon à ce que l’œuvre de leur aïeule ne tombe pas dans le domaine public, ce qui mettrait fin à la perception des droits d’auteurs par les descendants.
Si c’était le cas?
Je trouverais cela extrêmement grave. Si les modifications ont pour seul but d'éviter que ces œuvres ne tombent dans le domaine public passé un certain délai après la mort de l’auteur, délai de 70 ans en Suisse, je serais favorable à une modification de la loi, qui dirait que des changements effectués dans les œuvres ne donnent pas doit au report du délai. Cela permettrait de confondre des ayants-droits ou éditeurs dont la seule motivation est en réalité l’appât du gain.
On pourrait opposer à votre refus des changements, le point de vue selon lequel des mots écrits à une époque de toute-puissance occidentale passaient naturellement auprès du lectorat. Mais que, depuis, les valeurs et représentations de la société ayant changé, ces mots choquent, heurtent, blessent une partie du public.
Oui, mais à ce compte-là, c’est toute la littérature, et pourquoi pas la peinture, qu’on devrait censurer. Je suis pour ma part favorable à ce que certaines œuvres soient précédées d’avertissements si besoin, ou accompagnées de notes de bas de page pour les livres, par exemple. Sur un autre plan, on pourrait exiger, et ce serait complètement absurde, qu’on retire les mots «cabine téléphonique» des livres, au prétexte que les cabines téléphoniques ont disparu et sont inconnues des jeunes générations. Plus sérieusement, imaginons que le monde redevienne puritain, nous n'avons pas l'assurance qu’on ne recouvrira pas d’un drap pudique la Vénus de Milo. Ce serait très grave. Aux Etats-Unis, une directrice d'école à été contrainte à la démission après avoir montré le «David» de Michel-Ange à ses élèves.
Est-ce que vous vous autocensurez parfois?
Pour moi, c'est une façon de bien montrer que c’est le personnage et non l’auteur qui parle. Mais cela ne m’empêche pas d’appeler un chat un chat.
Ces aspects de racisme rejoignent la question légale qui vous est familière, puisque vous êtes procureur. L’êtes-vous toujours à plein temps?
Non, depuis le 1er janvier 2021, je le suis à 70%. Et peut-être ne le serais-je plus qu’à 50% à partir de 2025, afin de pouvoir me consacrer encore plus à l’écriture.
Quel est le nombre total de vos ventes?
Quelle est l’intrigue de votre dernier roman, «Les larmes du lagon» (éditions Slatkine et Cie)?
C’est l’un de mes trois romans policiers dont l’histoire ne se passe pas en Suisse. On est en Polynésie française. C’est un polar qui décrit l’envers de la carte postale, à savoir les conséquences encore actuelles des essais nucléaires qui y ont eu lieu. Je refais aussi par flash-backs l’histoire du Rainbow Warrior, ce navire de Greenpeace saboté en 1985 par les services secrets français sur ordre du président Mitterrand.
De quoi parlera votre prochain roman?
J’ai un polar qui devrait sortir en octobre, mais je ne peux rien dire pour l’instant, sinon que ça se passera majoritairement en Suisse romande, avec quelques chapitres situés en France limitrophe, en Haute-Savoie, dans l’Ain et dans le Doubs.