Vous qui entrez dans la carrière, n’espérez pas garder les mains propres. Ainsi va la diplomatie. On s’y salit toujours un peu les menottes. Mais n’y a-t-il pas des moments où il convient de jouer la vertu et uniquement la vertu?
Les «bons vœux» du président de la Confédération, Alain Berset, à son homologue iranien, Ebrahim Raïssi, le 11 février, à l’occasion du 44e anniversaire de la Révolution islamique, suivis de la visite, le 22 au mausolée de Qom, de l’ambassadrice suisse Nadine Olivieri Lozano vêtue d’un tchador, étaient-ils essentiels à quoi que ce soit? La Suisse devait-elle afficher ainsi une forme de soutien à un régime théocratique qui réprime dans le sang une partie de sa population?
Celles et ceux qui militent pour le renversement de la dictature religieuse en Iran ont dit tout le dégoût que leur inspiraient ces apparents assauts d’amabilités helvétiques. Mais qu’en pense-t-on au sein du personnel diplomatique suisse? Le message de félicitations d’Alain Berset à Ebrahim Raïssi, l’ancien responsable du système judiciaire iranien, décrit comme un fondamentaliste, était-il approprié dans sa forme?
Selon nos sources, le canal diplomatique suisse avait reçu des appels d’opposants iraniens demandant à la Confédération de ne pas envoyer de message de félicitations à l’Iran pour les 44 ans du régime. La présidence incarnée par Alain Berset n’en aura manifestement pas tenu compte.
Sollicité sur les alertes qu'auraient adressées des opposants iraniens à la diplomatie suisse, Berne n'a pas souhaité répondre.
Le 14 février en marge d’une conférence de presse à Berne, Alain Berset s’est défendu de tout angélisme, indiquant avoir envoyé en parallèle à son message de félicitations à l'Iran une lettre dans laquelle «nous appelons à l'arrêt immédiat des exécutions et à la désescalade dans le pays». «Nous»? Les départements fédéraux concernés, au premier chef, le département présidentiel et celui des Affaires étrangères (DFAE), dirigé par Ignazio Cassis.
Plus choquant peut-être en termes symboliques, mais pas nécessairement plus problématique que le message d’Alain Berset: la visite de l’ambassadrice suisse à Qom, qui plus est vêtue d’un tchador, l’habit idéologique du régime, et non pas coiffée d’un simple foulard qui aurait pu passer pour un service minimum.
Une avalanche de réactions outrées a accueilli cette initiative de la diplomatie suisse en Iran, perçue comme un blanc-seing donné aux mollahs. Elles ont été particulièrement nombreuses aux Etats-Unis. Parmi elles, celle d’une des principales figures de la contestation iranienne, Masih Alinejad, réfugiée à New York, militante laïque parfois en butte à des accusations d'«islamophobie» venant d'une partie de la gauche américaine:
While teenagers & women are getting beaten, jailed & killed for saying NO to forced hijab, NO to gender apartheid regime, Swiss ambassador in Iran obeyed forced hijab. Shameful & betrayal to Iranian women.
— Masih Alinejad 🏳️ (@AlinejadMasih) February 23, 2023
Switzerland must respond why they took side with our killers.#MahsaAmini pic.twitter.com/w4BkQGKkqt
Le diplomate joint par watson prend la défense de l’ambassadrice suisse, Nadine Olivieri Lozano. «C’est une excellente ambassadrice», dit-il. Mais il ajoute:
Pour notre source, tout le problème est «l’image de la Suisse que ces initiatives renvoient au public et notamment aux contempteurs habituels de notre pays».
Contactée, la présidence suisse, logée cette année au Département fédéral de l’intérieur, fait valoir ses arguments:
La visite de l’ambassadrice dans la ville sainte Qom a quelque chose d’énigmatique. A quelle raison impérieuse obéissait ce déplacement? Le DFAE d’Ignazio Cassis répond:
Le DFAE voit un intérêt diplomatique dans la visite à Qom, la porte du religieux pouvant ouvrir sur d’autres domaines, comprend-on:
Alignée sur l’Occident contre la Russie, la Suisse entend-elle jouer pleinement son rôle de neutre en Iran en y déployant ce qu’elle pense être ses marges de manœuvre, quitte à paraître accommodante avec un régime brutal? Elle a peut-être à cœur de remplir sa tâche de «puissance protectrice» vis-à-vis de l’Iran et des Etats-Unis, entre lesquels elle fait office de canal diplomatique depuis 1980. La Suisse a-t-elle tenu à marquer son territoire diplomatique, pour la forme? Ou a-t-elle agi là tel un rouage dans une négociation plus globale, faisant valoir ses bons offices?