Suisse
Iran

Iran: un diplomate suisse reproche à Berset sa «maladresse»

De g. à d.: l’ambassadrice suisse en Iran Nadine Olivieri Lozano, le président iranien Ebrahim Raïssi et le président de la Confédération, Alain Berset.
De g. à d.: l’ambassadrice suisse en Iran Nadine Olivieri Lozano, le président iranien Ebrahim Raïssi et le président de la Confédération, Alain Berset.images: keystone

Un diplomate suisse reproche à Berset sa «maladresse» face à l'Iran

Tout en soulignant le rôle particulier joué par la Suisse en Iran, un diplomate suisse critique la manière dont Alain Berset s'est adressé en février à son homologue iranien et l'absence de précautions prises par l'ambassadrice suisse lors de son déplacement à Qom.
03.03.2023, 05:4905.03.2023, 11:40
Plus de «Suisse»

Vous qui entrez dans la carrière, n’espérez pas garder les mains propres. Ainsi va la diplomatie. On s’y salit toujours un peu les menottes. Mais n’y a-t-il pas des moments où il convient de jouer la vertu et uniquement la vertu?

Les «bons vœux» du président de la Confédération, Alain Berset, à son homologue iranien, Ebrahim Raïssi, le 11 février, à l’occasion du 44e anniversaire de la Révolution islamique, suivis de la visite, le 22 au mausolée de Qom, de l’ambassadrice suisse Nadine Olivieri Lozano vêtue d’un tchador, étaient-ils essentiels à quoi que ce soit? La Suisse devait-elle afficher ainsi une forme de soutien à un régime théocratique qui réprime dans le sang une partie de sa population?

Celles et ceux qui militent pour le renversement de la dictature religieuse en Iran ont dit tout le dégoût que leur inspiraient ces apparents assauts d’amabilités helvétiques. Mais qu’en pense-t-on au sein du personnel diplomatique suisse? Le message de félicitations d’Alain Berset à Ebrahim Raïssi, l’ancien responsable du système judiciaire iranien, décrit comme un fondamentaliste, était-il approprié dans sa forme?

La Suisse aurait été avertie: n'envoyez pas de message!

Selon nos sources, le canal diplomatique suisse avait reçu des appels d’opposants iraniens demandant à la Confédération de ne pas envoyer de message de félicitations à l’Iran pour les 44 ans du régime. La présidence incarnée par Alain Berset n’en aura manifestement pas tenu compte.

«La manière dont le message était rédigé, sans allusion aux événements tragiques qui secouent l’Iran depuis septembre dernier, était une maladresse»
Une diplomate suisse

Sollicité sur les alertes qu'auraient adressées des opposants iraniens à la diplomatie suisse, Berne n'a pas souhaité répondre.

Le 14 février en marge d’une conférence de presse à Berne, Alain Berset s’est défendu de tout angélisme, indiquant avoir envoyé en parallèle à son message de félicitations à l'Iran une lettre dans laquelle «nous appelons à l'arrêt immédiat des exécutions et à la désescalade dans le pays». «Nous»? Les départements fédéraux concernés, au premier chef, le département présidentiel et celui des Affaires étrangères (DFAE), dirigé par Ignazio Cassis.

Réactions outrées

Plus choquant peut-être en termes symboliques, mais pas nécessairement plus problématique que le message d’Alain Berset: la visite de l’ambassadrice suisse à Qom, qui plus est vêtue d’un tchador, l’habit idéologique du régime, et non pas coiffée d’un simple foulard qui aurait pu passer pour un service minimum.

Une avalanche de réactions outrées a accueilli cette initiative de la diplomatie suisse en Iran, perçue comme un blanc-seing donné aux mollahs. Elles ont été particulièrement nombreuses aux Etats-Unis. Parmi elles, celle d’une des principales figures de la contestation iranienne, Masih Alinejad, réfugiée à New York, militante laïque parfois en butte à des accusations d'«islamophobie» venant d'une partie de la gauche américaine:

Le diplomate joint par watson prend la défense de l’ambassadrice suisse, Nadine Olivieri Lozano. «C’est une excellente ambassadrice», dit-il. Mais il ajoute:

«Elle aurait dû demander qu’il n’y ait pas de photos»
Un diplomate suisse

Pour notre source, tout le problème est «l’image de la Suisse que ces initiatives renvoient au public et notamment aux contempteurs habituels de notre pays».

«Certains diront que la Suisse cherche à profiter de l’argent des mollahs, alors que ce n’est pas le cas. Il ne faut rien attendre de particulier des mollahs après les compliments d’Alain Berset et la visite de l’ambassadrice à Qom. Au plus, notre pays, grâce à sa neutralité, n’a pas d’otages en Iran.»
Un diplomate suisse

Mais pourquoi?

Contactée, la présidence suisse, logée cette année au Département fédéral de l’intérieur, fait valoir ses arguments:

«Nous soulignons que la Suisse a condamné publiquement, de manière claire et répétée, sur plusieurs canaux, l'usage de la violence par les forces de sécurité iraniennes dans le cadre des protestations. La Suisse condamne également avec fermeté les exécutions de manifestants. Elle a appelé l'Iran à respecter les droits de l'homme aux niveaux bilatéral et multilatéral, et elle continuera à s'engager contre la violence et contre le recours à la peine de mort en Iran.»
Christian Favre, coresponsable de la communication au Département fédéral de l’intérieur

La visite de l’ambassadrice dans la ville sainte Qom a quelque chose d’énigmatique. A quelle raison impérieuse obéissait ce déplacement? Le DFAE d’Ignazio Cassis répond:

«La visite de l'ambassadrice suisse à Qom était destinée à une institution académique active dans le domaine du dialogue interreligieux et qui permet à ses étudiants de participer à des séminaires interreligieux en Suisse, à Genève. Dans ce contexte, une brève visite d'un site religieux important a eu lieu. Lors de cette visite, le protocole vestimentaire en vigueur pour les femmes a été respecté.»
Pierre-Alain Eltschinger, porte-parole du DFAE

Le DFAE voit un intérêt diplomatique dans la visite à Qom, la porte du religieux pouvant ouvrir sur d’autres domaines, comprend-on:

«Le dialogue interreligieux revêt une grande importance dans le contexte actuel et assure à la Suisse un accès aux dignitaires religieux. Cela est particulièrement important dans le contexte iranien, car ces cercles exercent une grande influence sur les thèmes socio-politiques. La Suisse utilise tous les canaux existants pour promouvoir le dialogue.»
Pierre-Alain Eltschinger, porte-parole du DFAE

Alignée sur l’Occident contre la Russie, la Suisse entend-elle jouer pleinement son rôle de neutre en Iran en y déployant ce qu’elle pense être ses marges de manœuvre, quitte à paraître accommodante avec un régime brutal? Elle a peut-être à cœur de remplir sa tâche de «puissance protectrice» vis-à-vis de l’Iran et des Etats-Unis, entre lesquels elle fait office de canal diplomatique depuis 1980. La Suisse a-t-elle tenu à marquer son territoire diplomatique, pour la forme? Ou a-t-elle agi là tel un rouage dans une négociation plus globale, faisant valoir ses bons offices?

Un couple iranien va passer 10 ans en prison pour cette vidéo
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
L'Allemagne serre la vis aux frontières, la Suisse pas d'accord
Le refoulement systématique des demandeurs d'asile est contraire au droit en vigueur, estime Berne. Les deux pays vont s'entretenir au téléphone.

Un entretien téléphonique est prévu au niveau ministériel entre la Suisse et l'Allemagne, qui a opéré un tour de vis dans sa politique migratoire mercredi. Le refoulement systématique des demandeurs d'asile est contraire au droit en vigueur, estime Berne.

L’article