«Le Conseil fédéral dit aux musulmanes: Portez un burkini!»
On peut parler d’un dialogue de sourd. Marianne Binder invoquait l’égalité des droits entre l’homme et la femme inscrite à l’article 8 de la Constitution fédérale. Le Conseil fédéral lui répond par l’article 15 garantissant la liberté de conscience et de religion.
Dans un postulat déposé en 2022, approuvé alors par la Chambre basse du Parlement fédéral, l’ex-conseillère nationale argovienne du Centre, élue aux Etats en 2023, demandait au gouvernement de se prononcer dans un rapport sur la possibilité légale d’interdire «les pièces vestimentaires qui discriminent les filles musulmanes».
Réponse: c’est non, comme on l’a appris le 22 octobre dans un rapport 32 pages. Rappelant le principe de la neutralité de religion et de croyance de l’Etat, considérant que les vêtements en question, le voile et le maillot de bain intégral, ou burkini, n’entravent pas la scolarité des élèves musulmanes qui les portent, il convient de ne pas les prohiber, affirme le Conseil fédéral.
Signes d'infériorité
Non seulement une telle interdiction contreviendrait à la liberté religieuse, une matière où les parents ont leur mot à dire, mais elle ne serait pas non plus conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui autorise le port du voile chez les élèves, pour peu qu’il ne complique pas leur parcours scolaire, arguent les sept sages. Autrement dit, une modification constitutionnelle serait nécessaire pour prononcer une interdiction, selon le gouvernement.
Marianne Binder n’est pas seulement déçue. Elle est fâchée. Elle a l’impression que le Conseil fédéral feint de ne pas comprendre ses arguments.
Le Conseil fédéral ne semble pas ignorer l’aspect objectivement sexiste de ces accessoires, mais il s’en tient, là encore, à la liberté religieuse. Il renvoie à une étude selon laquelle le port du voile participe, en Occident, d’un processus d’émancipation vécu comme tel par une partie des adolescentes musulmanes. Cette subjectivité ne pouvant valoir chez des fillettes.
Dans sa conclusion, le gouvernement relativise le port du maillot de bain intégral lors des heures de piscine.
Le gouvernement poursuit:
Le Conseil fédéral ajoute:
Ces justifications, qui minimisent le sens du voile et du burkini, font bondir Marianne Binder:
Le présent débat suisse sur le voile à l’école fait penser à celui qui avait agité la France au début des années 2000, avant l’adoption de la loi interdisant aux élèves le port de signes religieux ostensibles. De la même manière que le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), en France, avait critiqué cette loi au nom d’une approche dite libérale, la Commission fédérale contre le racisme (CFR) s’était opposée, sept ans plus tard, à l’interdiction du voile dans les écoles suisses.
Pour Marianne Binder:
Comme la conseillère aux Etats argovienne, de plus en plus de militants en lutte contre l’islamisme, invoquent non plus la laïcité pour demander l’interdiction du voile à l’école, mais l’égalité hommes-femmes. Ils accusent les néoféministes, pourtant promptes à combattre le patriarcat, de baisser pavillon face au voile scolaire.
Le Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) salue l’avis rendu par le Conseil fédéral au postulat de Marianne Binder. Le CCIE est l’hériter du CCIF dissous par le gouvernement français en 2020 peu après l’assassinat de Samuel Paty pour «des liens étroits avec des tenants d’un islamisme radical invitant à se soustraire à certaines lois de la République».
Le CCIE relate l'avis du Conseil fédéral
Place à l'UDC?
Il n’est pas impossible que les autorités fédérales, l’exécutif comme le législatif, après avoir renoncé à légiférer contre le port du voile intégral dans l’espace public, laissent à nouveau l'UDC faire la «basse besogne». Marianne Binder le déplore:
Le conseiller national tessinois apparenté UDC, Lorenzo Quadri, a déposé en mars dernier une motion demandant au Conseil fédéral de légiférer dans les termes suivants: «La Suisse doit, comme l’Autriche, interdire le port du voile musulman aux jeunes filles de moins de 15 ans.» Non seulement à l'école, mais partout dans l'espace public. Le gouvernement a recommandé le rejet de la motion.
