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Suisse: «L'intégration transfrontalière est incontournable»

Des douaniers suisses et français à la frontière franco-genevoise. 27 juin 2026. Médaillon: Oscar Mazzoleni.
Des douaniers suisses et français à la frontière franco-genevoise. 27 juin 2026. Médaillon: Oscar Mazzoleni.image: keystone

Pourquoi la frontière entre la Suisse et la France ne va pas «disparaître»

Tensions sur le logement, la sécurité, l'emploi, les transports, l'école: Oscar Mazzoleni, professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques de l'Université de Lausanne, aborde les craintes et défis soulevés par les questions transfrontalières, dont il est un spécialiste.
26.10.2025, 18:5726.10.2025, 20:38

L'intégration transfrontalière est un processus en constante progression. Mais, dans le même temps, elle suscite des crispations sur un marché du logement toujours plus tendu, que ce soit en Suisse ou en France voisine. Côté sécurité, les braquages de malfrats français se multiplient dans les cantons frontaliers. Des Suisses se plaignent que des emplois à haute valeur ajoutée soient confiés à des Français habitant de l'autre côté de la frontière. Même le lieu pour l'instruction des enfants à l'école est devenu un problème.

Comment comprendre l'évolution des relations transfrontalières? watson s'est entretenu avec un spécialiste de ces questions, Oscar Mazzoleni, professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques de l'Université de Lausanne. Il est l'auteur d'une étude comparant les cas genevois, bâlois et tessinois.

Que symbolise à vos yeux le fait qu’un frontalier, un Suisse travaillant dans le canton de Genève, mais habitant en France voisine, Rudi Berli, s’apprête à siéger au Conseil national, à Berne, en remplacement de Nicolas Walder, élu au Conseil d’Etat genevois?
Oscar Mazzoleni: Cela témoigne de ce que les régions de la frontière les plus urbanisées de Suisse ont renforcé l’intégration transfrontalière, parallèlement au processus d’intégration de la Confédération dans les structures européennes. Ce qui va de pair avec la libre-circulation des personnes et la possibilité de choisir son domicile au-delà de la frontière nationale. L’intégration transfrontalière signifie un flux continu de personnes, de biens matériels et immatériels, ainsi que des liens sociaux, culturels, familiaux, favorisés par une infrastructure de coopération qui touche différentes politiques, notamment les transports.

«Si Bâle-Ville est un exemple d’intégration réussie sur le plan historique, le Grand Genève, toute proportion gardée, a largement suivi l’exemple»

Pourquoi Bâle-Ville est-il un exemple d'intégration réussie?
Depuis les années 1960, bien avant le renforcement de l’intégration européenne de la Suisse, l’espace qui réunit les régions avoisinantes de Suisse, de France et d'Allemagne, autour de la ville de Bâle, ont développé des collaborations de plus en plus étroites, devenant un modèle d’intégration transfrontalière pour l’ensemble du continent européen. Cela s’explique beaucoup par la présence dans le demi-canton de Bâle-Ville d’une puissante industrie pharmaceutique, poumon économique transfrontalier.

Soit, mais des problèmes se posent de manière toujours plus accrue, en termes le logement, notamment. Contrairement à Bâle-Ville, le canton de Genève n’a pas d’arrière-pays. Son arrière-pays, c’est la France, où de plus en plus de Genevois s’installent comme résidents. La frontière est-elle appelée à disparaître progressivement, non seulement sur un plan symbolique mais aussi sur un plan juridique?

«Je ne pense pas que la frontière est appelée à disparaître. La frontière n’est pas un phénomène univoque»

Prenez l’exemple des rapports entre la Suisse et l'Union européenne. Nous avons des accords comme la libre circulation et Schengen, qui peuvent donner l’impression d’un effacement des frontières, mais la frontière continue à fonctionner sur d’autres plans, étant donné notamment que la Suisse n’est pas membre de l’UE.

Sur quel plan, par exemple?
Eh bien, pour voter, il faut avoir la nationalité suisse, ou résider en Suisse si l’on est un étranger au bénéfice d’un droit de vote communal, voire cantonal, mais seulement dans certains cantons.

«Malgré l’intégration transfrontalière, les États-nations continuent d’exister»

Les deux dynamiques fonctionnent simultanément et, à certains niveaux, l’une peut neutraliser l’autre.

C'est-à-dire?
Plus l’intégration économique et sociale est développée dans un espace transfrontalier, plus certaines des dimensions de la frontière s’estompent, par exemple dans le domaine des transports. On pense aux réseaux de tramways et RER mis en place à Genève ou à Bâle-Ville. Mais d’autres dimensions ne disparaissent pas.

Lesquelles?
Prenons le marché du travail. Entre la Suisse et les régions voisines de France, Allemagne, Autriche et Italie, la frontière marque une différence, plus ou moins grande, de niveaux de salaire, de pouvoir d’achat et d’accès.

«S’il n’y avait pas de frontière, on assisterait à une uniformisation et à une harmonisation des conditions de vie. Or, cela arrive seulement partiellement»

Même si la circulation des personnes augmente, les inégalités entre les régions ne disparaissent pas et quelques fois augmentent. Des dynamiques transfrontalières peuvent se développer précisément à cause des écarts observés au sein même de ces espaces.

Par exemple?
Demandons-nous pourquoi le trafic transfrontalier augmente. Une des raisons est que les salaires sont plus élevés en Suisse et que la demande de travailleurs y est forte. La situation est la même à Bâle et au Tessin. En proportion des habitants, le Tessin est l’espace transfrontalier ayant le flux de personnes le plus intense en Europe, après le Luxembourg. Ce sont 80 000 personnes sur 350 000habitants. Un tiers des personnes occupées au Tessin sont des frontaliers italiens.

«Il y a des communes au Tessin où les postes de travail sont occupés à 70% par des frontaliers»

Sauf que cet état de fait crée des tensions. A Genève, le Mouvement des citoyens genevois (MCG) s’est récemment insurgé contre le fait que le département cantonal de l’aide sociale, appelé Hospice général, emploie à ses yeux une trop forte proportion de frontaliers, entre autres à des postes à responsabilité, au détriment, affirme le MCG, de diplômés universitaires locaux qui ont du mal à trouver du travail.

«C’est un sujet important, qui pose la question de la perception que les habitants ont des relations transfrontalières»

Nous avons à ce propos réalisé une étude comparative dans le canton de Genève, à Bâle-Ville, à Bâle-Campagne et au Tessin. Dans les deux Bâle, on ne voit pratiquement que des vertus à l’intégration transfrontalière. Elle est vue comme un avantage qui mérite d’être développé. Au Tessin, la perception est à l’opposé. Et, à Genève, on est à mi-chemin entre la perception positive et la perception négative.

Pourquoi cette perception essentiellement négative au Tessin?
Il n’y a pas, au Tessin, contrairement à Bâle et à Genève, une grande concentration de postes à haute valeur ajoutée. La capacité d’attirer une main-d’œuvre hautement qualifiée avec de bons salaires est bien moins existante au Tessin. Qui, dès lors, se retrouve confronté à une pression considérable sur les moyens et bas salaires, du fait d’écarts énormes de revenus avec la Lombardie, où ils sont très bas comparativement. L’intégration transfrontalière, on ne le découvre pas, peut aussi produire des crispations.

L’intégration transfrontalière ne gomme pas la question identitaire. On le voit avec la polémique de ces parents genevois de nationalité suisse installés en France voisine et qui ne veulent pas que leurs enfants aillent à l’école française. Notamment pour ne pas être coupés de leurs racines suisses. Ne touche-t-on pas ici aux limites de l’intégration transfrontalière?
Oui, mais c’est précisément le résultat et la fonction de la frontière nationale. La frontière n’est ni un mur infranchissable, ni un mur qui s’écroule. La frontière est un ensemble d’espaces d’échelles et de dimensions différentes. L’intégration de la Suisse dans l’Union européenne le montre bien.

Pensez-vous qu’à l’avenir puissent se mettre des exceptions juridiques touchant à la souveraineté des Etats. Par exemple: des élèves frontaliers suisses vivant en France pourraient suivre un cursus suisse dans une école publique installée en France.
Les universités des différents pays autour de Bâle ont déjà des collaborations débouchant sur des diplômes communs. Maintenant, l’hypothèse que vous soulevez et qui vaut pour l’école obligatoire ne me semble pas relever de la science-fiction. Surtout dans le cas genevois, avec l’instrument du Grand Genève, nonobstant les crispations actuelles liées à la scolarisation des élèves frontaliers suisses. Il faut rappeler qu’en Suisse, la politique scolaire est du ressort des cantons.

«On peut donc imaginer que le canton de Genève développe un jour cette offre d’école suisse en France, avec l’accord de la partie française, bien sûr»

Des malfrats venus de France commettent des braquages répétés en Suisse romande. Cet été dans le Jura, la commune de Porrentruy a interdit la fréquentation de sa piscine municipale à certains frontaliers français pour se prémunir de violences et d'incivilités. La question sécuritaire ne pourrait-elle pas un jour faire voler en éclats l’intégration transfrontalière?
Les rapports transfrontaliers peuvent s’accompagner de malentendus et préjugés. Cependant, au fur et à mesure que les contacts se renforcent, des nouvelles solutions communes peuvent surgir. Cela s’exprime également dans une coopération institutionnelle, y compris sur les enjeux sécuritaires. Dans les régions les plus urbanisés, autour de Bâle, Genève et Tessin, l'intégration transfrontalière implique notamment un renforcement de la coordination des polices et des gendarmeries compétentes pour l’ensemble de la région.

«Pour répondre à la question, la question sécuritaire est une des raisons qui contribuent, à l’heure actuelle, à une plus grande coopération transfrontalière»
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