Luttes féministes, toilettes dégenrées, occupations de locaux, assassinats attribués à la police, défense de la cause palestinienne: l’agenda 2024-2025 de la CUAE, le syndicat étudiant de l’Université de Genève (Unige), est clairement orienté à gauche. Gauche révolutionnaire bien plus que gauche de gouvernement. La quarantaine de messages politiques qui parsème ses pages ne laisse planer aucun doute à ce sujet. Tous ne dénotent pas un positionnement à l’extrême gauche et deux ou trois échappent à la politique stricto sensu, telle la commémoration des 300 ans de l’invention de la double crème de la Gruyère, un certain 21 décembre 1724.
Mais la tonalité générale de l'ouvrage n’est pas drôle. Elle consiste en des propos assénés comme des rappels censés éclairer les étudiants sur l’état du monde et les combats à mener contre les injustices. On a un peu l’impression de tenir entre les mains un manuel d’éducation populaire.
L'agenda 2024-2025, que watson a parcouru en détail, est au cœur d’une polémique secouant aussi bien la CUAE (Conférence universitaire des associations d'étudiant.e.x.s) que le rectorat de l’Unige. Tout a commencé avec le signalement par la Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation (CICAD) de deux messages figurant dans l’agenda. On était à quelques jours de la rentrée universitaire du 16 septembre et la CUAE s’apprêtait à distribuer son agenda.
Les deux messages signalés font référence au conflit israélo-palestinien, brûlant avec l'actualité du drame en cours à Gaza. L’un, déployé telle une promesse sur les cinq dernières pages de l’agenda, qui se termine à la date du 5 octobre 2025, à deux jours des massacres du Hamas du 7 octobre, reproduit le slogan propalestinien «Free Palestine, from the river to the sea» («Palestine libre, de la rivière à la mer»). La plupart des observateurs l'interprète comme la volonté de voir disparaître l’Etat d’Israël sous sa forme actuelle pour donner naissance à autre chose.
Le second message se rapporte à la date du 6 septembre 1970, celle du triple détournement d’avion perpétré par le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une organisation reconnue comme terroriste par les Etats-Unis et l’Union européenne, pas par la Suisse. «Apologie du terrorisme», s’est indignée la CICAD. La CUAE se défend de cette intention. Lors de cette opération de piraterie, les otages juifs avaient été séparés des otages non-juifs, ce que le syndicat étudiant omet de préciser dans sa note d'agenda.
Quoi qu'il en soit, le rectorat a interdit la distribution des 5500 exemplaires de l'agenda 2024-2025 aux étudiants. La CUAE dénonce une censure.
Mais les mentions ayant un lien avec le conflit israélo-palestinien, toutes en défaveur de l'Etat hébreu, ne sont pas les seules qui pourront paraître polémiques, d’un point de vue politique, sinon au regard du droit et de la vérité des faits.
Deux drames sont ainsi qualifiés, à tort, en l’état, d’assassinats. Voici ce que dit la note d'agenda à la date du 8 septembre 2025:
Le 8 septembre 2021 sur un quai de la gare de Morges, un policier, s’estimant en danger de mort, avait fait usage de son arme et tué Roger «Nzoy» Wilhelm. Les proches de ce dernier contestent la manière dont la justice vaudoise a mené l’instruction, lui reprochant d’être juge et partie. L’affaire est en cours. Mais l’assassinat suppose la préméditation ou une façon d’agir particulièrement odieuse. Selon une source au ministère public vaudois:
A la date du 27 juin 2025, l'agenda de la CUAE mentionne:
Les faits s’étaient produits à Nanterre en 2023. Un policier avait tiré à bout portant sur un adolescent de 17 ans se trouvant au volant d’une voiture et qui refusait d’obtempérer. L’instruction en cours retient pour l’heure la qualification de meurtre et non celle d’assassinat, qui suppose, on l'a vu, la préméditation.
Nous avons demandé par e-mail à la CUAE d’expliquer la raison de l’emploi du terme «assassinat» dans les cas précités, là où la justice s'y refuse sur la base des éléments en sa possession. Nous n’avons pas obtenu de réponse.
L’agenda se fait mordant avec le rectorat de l'Unige et l’exécutif cantonal genevois. Le 18 janvier 2025 marque ainsi les «2 ans de la censure par le Conseil d’Etat de l’élection du recteur par l’Assemblée générale de l’Université». «Censure»? Le Conseil d’Etat avait mis son véto, comme c'est son droit, à la désignation du Canadien Eric Bauce à la tête du rectorat. Un nouvel appel à candidatures avait été lancé, une femme étant souhaitée pour le poste. L’actuelle rectrice, Audrey Leuba, avait été choisie et nommée le 22 novembre 2023.
La CUAE a manifestement une dent contre cette dernière. Au 1ᵉʳ avril 2025, le syndicat étudiant écrit dans son agenda, sans qu’on y comprenne grand-chose, mais on sent la pique:
Il y a les notes qu’on trouve dans l’agenda 2024-2025 de la CUAE. Et il y a celles qui n’y sont pas. Rien au 7 octobre: les massacres du Hamas en 2023, suivis de la répression meurtrière israélienne à Gaza. Rien au 16 octobre: l’assassinat en 2020 en France du professeur Samuel Paty par un djihadiste tchétchène. Rien au 16 septembre: la mort en 2022 de Mahsa Amini entre les mains de la police des mœurs iranienne. (Nous ignorons si les disparitions de Samuel Paty et Mahsa Amini ont été mentionnées dans de précédents agendas du syndicat étudiant genevois.)
Vice-président des Jeunes libéraux-radicaux (JLR) genevois et étudiant en droit à l’Unige, Alexis Couniniotis juge la situation «consternante».
Alexis Couniniotis est un ancien membre du comité du Club genevois de débat, l’une des nombreuses associations de l’Unige. «La CUAE, c’est son rôle de faîtière, a défendu les intérêts du Club genevois de débat et les défend j’en suis sûr encore. Mais la question n’est pas là. La CUAE profite clairement de sa position dominante pour diffuser ses idées politiques et ce n’est pas le rôle d’une faîtière. C’est inacceptable.»
Le vice-président des JLR genevois garde un mauvais souvenir de l’occupation de la cafétéria de l’Unige par la CUAE pendant deux semaines en 2021 (un fait rappelé dans la dernière édition de l’agenda controversé). Le syndicat étudiant réclamait des repas à 3 francs. «Je n’avais pas apprécié la méthode employée, l’occupation. L’exploitant de la cafétéria, un privé, a perdu une grande partie de son chiffre d’affaires. A la fin de l’occupation, il avait cédé sa place à un autre exploitant.»
Pour Alexis Couniniotis, «il est regrettable que le rectorat ait attendu si longtemps avant d’agir». A présent, ajoute-t-il, «il convient sans doute que des élus du Grand Conseil prennent les choses en main pour mettre un terme à cette situation ubuesque.» Le PLR et l'UDC fourbissent leurs armes législatives – la droite est majoritaire au parlement cantonal.
Le président du Parti socialiste genevois, Thomas Wenger, député au Grand Conseil, s’oppose à la dissolution de la CUAE:
Pour autant, la note «From the river to the sea» et celle se rapportant au triple détournement d’avion par le FPLP, sont des «erreurs», affirme Thomas Wenger.
Selon la Tribune de Genève du 17 septembre qui cite un ancien représentant du rectorat à la commission des taxes, celle décidant de l’attribution des subventions, dont les 30 000 francs à la CUAE pour la réalisation de son agenda, «il y a eu un manque de vigilance» de la part de l’Université – cette dernière s'en défend.
Et si, un jour, l’extrême droite, et non plus l’extrême gauche tenait le syndicat étudiant de l’Unige? Thomas Wenger:
Il y a peut-être une autre solution: que le syndicat étudiant cesse de se comporter en parti unique.