Quand un fait dérangeant se présente et qu’on ne veut pas le voir, il suffit de regarder ailleurs. C’est ce que font les autorités lausannoises à l’annonce de la venue de la militante décoloniale française Houria Bouteldja pour une conférence le 8 février dans le chef-lieu vaudois, à l’invitation du collectif Sud Global. L’événement se tiendra dans le centre culturel Pôle Sud, en partie subventionné par des fonds publics.
Tenant des discours globaux sur les juifs, leur reprochant d’être les «supplétifs des Blancs impérialistes», elle les juge en quelque sorte responsables des actes antisémites qui les frappent parfois mortellement. Par ailleurs, elle affirme que les femmes et les homosexuels noirs et arabes vivant en banlieue sont tenus d'encaisser en silence les coups reçus par les leurs au nom du combat émancipateur des peuples opprimés.
A propos d'antisémitisme, y'en aurait-il un de bon, qu’il convient de combattre, et un de mauvais, qu’il faut surtout ne pas voir? Le 8 janvier, la présidente du Parti socialiste lausannois (PSL), Sarah Neumann, membre du législatif de la Ville de Lausanne, adressait une question à la Municipalité. Elle y dénonçait la présence de symboles nazis dans une foire aux armes organisée au Palais de Beaulieu.
«Nous nous demandons dans quelle mesure la Ville de Lausanne a la latitude d'interdire la présentation et la vente d'objets glorifiant cet héritage fasciste et antisémite», écrivait-elle. Elle concluait en ces termes: «Dans un contexte où la glorification et la diffusion de symboles nazis sont – et c’est heureux – largement rejetés par la quasi-majorité des courants politiques représentés dans notre pays, la Municipalité envisage-t-elle de prendre des mesures afin que de tels stands ne soient plus admis dans notre ville?»
Sarah Neumann demandait à raison que des mesures soient prises contre la diffusion de l’antisémitisme, en l'occurrence de type néonazi, le «bon», qu’on ne risque rien politiquement à combattre, d’autant moins qu’il ne tue pour ainsi dire plus. Mais qu'en est-il de l'autre?
L’antisémitisme qui tue ou blesse le plus souvent en Europe, le «mauvais», est de facture islamiste et c'est aussi un fascisme. En mars 2012 à Toulouse, Mohamed Merah, imprégné d’idéologie djihadiste, tuait quatre juifs, dont trois enfants. Un mois plus tard, Houria Bouteldja affirmait, lors d’une conférence: «Mohamed Merah, c’est moi.» Elle s’identifiait à la condition d’Arabe en France du tueur. Elle n’approuvait pas ses meurtres, mais elle les mettait sur le compte, bien pratique, de l’humiliation.
Houria Bouteldja omettait de citer la haine anti-française et anti-juive qui s’exprimait matin, midi et soir dans la famille du terroriste, comme le révélerait le frère de ce dernier, Abdelghani Merah, en rupture avec son milieu familial.
La tâche du PSL et d’autres partis de gauche, dont l’électorat est en parti constitué de Suisses issus de l’immigration musulmane, n’est pas simple. Si des musulmans nourrissent des préjugés antisémites, généralement en rapport avec le conflit israélo-palestinien et puisant dans des récits islamiques fondateurs, certains, parmi eux, sont victimes de racisme. Il ne s’agit pas de le nier.
Ce n’est toutefois pas une raison pour regarder ailleurs, quand il importe de faire connaître publiquement son désaccord avec les propos scandaleux de Houria Bouteldja, sans attendre d’être sollicité par des médias pour le faire. Les élus de tous bords ou presque se justifient en disant n’avoir jamais entendu parler de la militante française, quand bien même elle est déjà venue à Lausanne en 2023, invitée par le même collectif. Mais si les élus découvrent son nom, qu'ils sachent qu'il est parfaitement connu des milieux décoloniaux, principalement universitaires, de Suisse romande.
Ouvrons une parenthèse sur le décolonialisme. Il était à l’honneur en 2022 à la Manufacture, le nom de la haute école romande de théâtre. La fidèle compagne de lutte de Houria Bouteldja, la militante Françoise Vergès, avait coanimé un séminaire autour de ce thème. Une victoire pour les décoloniaux: des élèves estimaient à présent impossible de dire certaines répliques, jugées racistes ou misogynes, du répertoire classique. La présidente du PSL, Sarah Neumann, était alors, elle l’est toujours, secrétaire générale de La Manufacture.
On ne voit que ce qu’on veut bien voir. Tenez, qui connaît François Genoud, le nazi vaudois, admirateur d’Hitler et soutien des nationalismes arabes les plus durs, mort en 1996 à Lausanne? Pas grand-monde, apparemment. Aurait-on honte de ce monsieur? Son compagnonnage avec les mouvements terroristes arabes, avec le milieu des Frères musulmans, mettrait-il mal à l’aise un certain tiers-mondisme? Lorsque l’histoire du nazisme est enseignée dans les écoles vaudoises, le nom de François Genoud est-il cité? Deux biographies lui ont été consacrées, par des journalistes français.
On trouve peu d’articles dans la presse romande à son sujet. La Neue Zürcher Zeitung s’est en revanche souvent intéressée à lui. Cet antisémite, qui revendiquait, à chaque occasion, son antisionisme, a inspiré une pièce de théâtre, L’Injuste, qui se jouera dès jeudi à Paris. Pourquoi ne pas la faire venir à Lausanne?
On comprendra peut-être que le problème est moins la venue de Houria Bouteldja, qui a le droit de s’exprimer dans le cadre de la loi, que la passivité des différents partis politiques, dont on attend qu’ils disent ce qu’ils pensent des idées et propos de la militante. C’est une question de morale et peut-être aussi de courage. S'abriter derrière la légalité – «elle n'a pas été condamnée» – pour éviter de prendre position, n'est pas très glorieux.