Il y a ces images arc-en-ciel. Festives. Celles de la Pride de Genève, il y a quelques jours, qui a réuni quelque 30 000 personnes dans la joie et la tolérance. Mais il existe une autre réalité. Celle de la rue, des quartiers populaires, celles des écoles, fréquentées par des adolescents âgés de 12 à 18 ans, environ. Là où la thématique du mariage pour tous, en votation le 26 septembre prochain, est sensible. Car si cette votation aborde textuellement la question de l’union entre deux personnes du même sexe, elle touche aussi, et parfois surtout, à l’acceptation de l’homosexualité au sein de la société.
Dans un quartier populaire de Genève, Richard* en fait l’expérience régulièrement. Encore plus depuis que le sujet est sur la table d’une votation fédérale. Ce travailleur social expérimenté est formel:
Ce n’est pourtant pas si simple, si clair, si mathématique. Car Richard sent une forme d'ambivalence aussi, entre le comportement adopté en groupe par les jeunes qu’il côtoie et leur véritable ressenti. Le travailleur social tente un exemple: «Certains crient «brûler les pédés» mais s’interrogent sur leur orientation sexuelle. Car au fond d’eux, j'en suis persuadé, n’ont rien contre l'homosexualité.» Entendez: il y a des codes de meute, des effets de groupe qui dictent la pensée et le comportement à adopter.
«Les jeunes de la rue traînent en bande, entre mecs. Dès qu’un jeune porte un habit qui ne correspond pas aux codes de la virilité qu’ils ont en tête – par exemple un pantalon un peu plus serré –, certains autres le traitent de pédé», renchérit Alex, un travailleur social hors mur et actif pendant plusieurs années dans une commune genevoise. Selon lui, l’apparence joue un tel rôle, que même les couleurs portées sont facteurs de classification: celles qui évoquent l’autre sexe «ne passent pas». Dans le même ordre d’idée, «si un jeune n’a pas de copine pendant un certain temps, on se permet de douter de son orientation sexuelle».
Toujours au bout du lac, un enseignant du cycle d’orientation (secondaire I) dans un établissement basé dans un quartier populaire et proche du centre-ville nous explique que la thématique est arrivée sur la table à la vitesse grand V, dès les premiers jours:
«Ils m’ont demandé: «Monsieur, et si un de vos fils était gay, vous feriez quoi? Si c’était mon fils, je le renierais.»» Il ne s’en étonne pas vraiment. Depuis quelque temps, selon lui, les discours sont de plus en plus conservateurs au sein de son école. «Ce sont des ressentiments qui commencent à sortir plus ouvertement.»
Et d’évoquer certains de ses élèves qui font la distinction entre les gays – «c’est hors de question» – et les lesbiennes – «c’est OK» –, renvoyant à une image hypersexualisée de la femme. Pour l'enseignant, c’est aussi lié à la représentation traditionnelle de la famille, d’où ils puisent parfois des propos limites. Il relève: «Mes élèves baignent là-dedans».
Si l’homosexualité est «interdite», «taboue» dans la tête de certains jeunes garçons, les femmes, elles, semblent tout de même plus ouvertes sur la question, analyse Alex, le travailleur social genevois: «elles estiment que chacun peut faire ce qu’il veut».
L'enseignant, lui, souligne que son métier l'oblige à s'éloigner de l’émotionnel. Or, c’est justement un sujet «très émotionnel» pour les jeunes. Pas simple d’aborder cette thématique avec sérénité. Pas simple non plus, dès lors, de travailler à plus de tolérance, car les propos dépassent parfois le cadre légal.
Et d’en revenir au texte fondateur de la Suisse, la Constitution, en expliquant que dans ce pays, nous sommes tous différents, mais nous nous respectons. «Car si chacun pointe du doigt celui qui n’est pas exactement comme lui, on ne s’en sort pas.»
Reste que cette réalité n’en est qu’une parmi d’autres. Une photographie dans un monde complexe, fait de nuances et d’incertitudes. «Selon le quartier, selon l’origine familiale et culturelle, la vision des adolescents peut changer du tout ou tout», nous glisse une animatrice dans maison de quartier romande. Il y a aussi un changement depuis une dizaine d’années. Dans le langage, dans la musique, où des artistes prisés des ados se montrent désormais ouvertement homosexuels.
Aujourd'hui, les célébrités jouent aussi avec les codes traditionnels de la masculinité et la féminité. «Cela donne d’autres repères aux adolescents qui font qu'une évolution des mentalités est aussi perceptible», estime-t-elle. Ajoutant que pendant l’adolescence, les jeunes vivent avec beaucoup d’insécurités.
«En sortant de cette période de leur vie, l’écart à la norme devient possible et le discours devient plus modéré.». Parfois plus éloigné des codes de la rue, l’individu développe ainsi sa propre idéologie sur l’homosexualité. Qu’elle aille dans un sens ou dans l’autre.
* prénom d’emprunt