«Ça ne change rien. Ce n’est pas parce qu’on a deux papas ou deux mamans que ça peut changer une vie. Je suis heureux comme un autre enfant».
Il a la voix claire et les yeux timides. Sous son bob, les pensées chauffent et fusent. Lucas a 12 ans et il veut parler. C’est lui qui a poussé ses deux mamans à dire «oui» à l’interview. C’est lui qui, peut-être même sans s’en rendre compte, devient le «petit militant» d’une famille qui «fuit les manifestations LGBTQIA+ et l’exposition».
Nous sommes enfoncés dans les canapés d’un café à Sion. Dehors, le soleil brûle, et la votation pour le «Mariage pour tous» enflamme le pays.
Une maman à sa droite, une maman à sa gauche. Lucas est au centre. Ça tombe bien, c’est de lui que l’on veut parler. La question de son bonheur est au coeur d’une campagne féroce. Les opposants à la loi soumise en votation le 26 septembre voient l’homoparentalité comme un danger pour le bien-être des enfants.
Lucas a un papa, il le connaît. Mais il a été élevé essentiellement par ses deux mères, Suzana et Noleena Jacquier. Elles sont tombées amoureuses juste après que bébé a soufflé sa première bougie.
A l’heure où l’école sonne pour la première fois, Lucas a 4 ans, et les Valaisannes anticipent les regards noirs et les remarques.
Le petit gars valide. Dans la cour d’école, c'est comment? «Il ne se passe pas grand-chose. Ça ne change rien aux yeux de mes copains. Certains m’ont demandé comment c’était d’avoir deux mamans. J’ai dit que c’était un peu comme d’avoir un papa et une maman. Ils ont même parfois dit que j’avais de la chance. Tout se passe bien.» Et si «tout se passe bien», c’est aussi grâce à la force d’un entourage bienveillant, affirment Noleena et Suzana.
On leur a peu barré la route, aux deux Valaisannes. Elles disent quand même la difficulté de devoir vivre avec l’étiquette du «partenariat enregistré». «C’est stigmatisant dans le monde du travail. Une fois qu’un patron lit cela, il connaît tout de suite ta vie privée, ton orientation sexuelle», explique Noleena.
Il y a également la question de «qui fait l’homme dans le couple?», qui tombe comme un refrain toujours plus agaçant pour Suzana. Et aussi, cette remarque hostile dans la rue lancée par un inconnu, alors que les femmes venaient de s'échanger un baiser.
Mais, malgré tout, les amoureuses disent avoir été épargnées par la rancoeur et l’homophobie. Jusqu’à cette année. Jusqu’à ce que le ton de la campagne contre le Mariage pour tous vienne les toucher en plein coeur. Noleena bouillit:
Les affiches des opposants, mettant en scène un zombie ou un bébé étiqueté, ont aussi allumé la colère du couple: «Se prendre la haine en pleine face, c’est violent.»
Lucas nous écoute discuter. La bataille politique des adultes, les discriminations, son esprit cartésien peine à les saisir. Il nous explique:
Oui, Lucas se sait forcément un peu différent. A la question «c’est quoi une famille?», il nous répond instinctivement: «un papa et une maman». Oups. Tout stressé, il reprend immédiatement: «J’ai dit ça parce que le plus souvent, c’est ça une famille. Ça peut être deux mamans ou deux papas. En fait, ce sont juste des personnes qui t’aident et qui t’aiment.»
Les verres sont presque vides. Le trio pose pour la photo. Ça rigole, ça dab, ça grimace. «Il a sûrement fait une de ces têtes», rient Suzana et Noleena. Une chose est sûre: ces trois-là ont l’air de s’aimer.