C'est le point culminant de sa carrière: la procureure Sabrina Beyeler prononce le plus long plaidoyer de sa vie. Pendant huit heures – c'est le temps qu'elle a réservé au Tribunal pénal fédéral – elle va dérouler ses arguments.
L'accusatrice du Ministère public de la Confédération explique pourquoi la justice doit condamner fermement l'ancien ministre de l'Intérieur de Gambie, Ousman Sonko, à une peine de prison à vie.
Il s'agit d'un procès historique. Ousman Sonko est le fonctionnaire le plus haut placé jamais inculpé de crimes contre l'humanité en Europe. Il est jugé en Suisse parce qu'il y a cherché refuge en tant que demandeur d'asile en 2016. Le Ministère public de la Confédération l'accuse en vertu du principe du droit mondial. La justice suisse fait ainsi une déclaration: les criminels de droit international ne sont pas en sécurité ici.
Sabrina Beyeler se présente vêtue d'un tailleur-pantalon noir et d'un chemisier rose pâle. Elle parle calmement et objectivement, et décrit de manière méticuleuse comment Ousman Sonko a commis ses crimes.
Une avocate zurichoise qui représente les victimes gambiennes lance à l'extérieur du tribunal:
Selon elle, la précédente a dû s'affirmer dans le monde masculin de la justice. De nombreuses procureures se sont donc montrées agressives et venimeuses. Elles ont dû faire leurs preuves.
Sabrina Beyeler n'a, toutefois, pas dû en passer par là. Elle a terminé ses études de droit aux universités de Lucerne et de Berne en 2006. A cette époque, pour la première fois, plus de femmes que d'hommes étudiaient le droit. Depuis, la proportion de femmes a dépassé les 60%, alors qu'elle est légèrement supérieure à 50% pour l'ensemble des disciplines.
Ce changement imprègne le monde de la justice. Dans les premières étapes de la carrière des juristes, les femmes sont désormais majoritaires. En revanche, dans les tribunaux fédéraux, où une plus grande expérience est nécessaire, cela prend plus de temps.
La disposition des sièges dans la grande salle du Tribunal pénal fédéral pendant les plaidoiries de Sabrina Beyeler symbolise la situation. Derrière des pupitres surélevés trônent le président du tribunal, un juge et une juge. Cela correspond assez exactement à la proportion de femmes dans l'ensemble du tribunal.
Deux hommes sont assis dans une moitié de la salle: l'accusé et son avocat. Face à eux, sept femmes: la procureure, son assistante et cinq représentantes des victimes.
Sabrina Beyeler n'a repris la procédure d'une collègue que peu de temps avant la mise en accusation. L'avocat de la défense Philippe Currat estime que son adversaire: «travaille de manière juste».
Sabrina Beyeler a fait carrière sans se faire remarquer publiquement. Son premier poste de procureure lui a été attribué par le ministère public de Winterthur/Unterland. A cette époque, elle était en charge de délinquants qui cachaient de la drogue dans la boîte aux lettres de leur grand-mère.
Elle a ensuite été engagée au Ministère public de la Confédération, d'abord dans la division de la protection de l'Etat et des organisations criminelles, puis dans celle de l'entraide judiciaire, du terrorisme, du droit pénal international et de la cybercriminalité. Sabrina Beyeler a mené les premiers procès contre les braqueurs de bancomats. Mais sa spécialité est le droit pénal international.
Lorsque la juriste prend la parole, le silence règne dans la salle d'audience. Malgré la longueur de son discours, elle parvient à capter l'attention de son auditoire. Elle raconte des histoires qui se sont certes déroulées dans un pays lointain, et parfois à une époque éloignée. Mais ses paroles ne laissent personne indifférent.
Elle décrit l'accusé comme un homme à deux visages. Au tribunal, il se présente comme un suspect intelligent et coopératif qui n'a jamais rien eu à se reprocher. Mais le dossier dévoilerait toutefois son vrai visage. Ousman Sonko serait en réalité un stratège froid qui aurait contribué à orchestrer des violations systématiques des droits humains. Il aurait également été responsable de l'unité paramilitaire spéciale Junglers. Celle-ci avait pour mission de faire passer aux aveux les personnes arrêtées qui ne s'avouaient pas coupables.
Sabrina Beyeler décrit en détail les méthodes de torture. Les hommes d'Ousman Sonko auraient fixé des appareils à électrochocs sur les parties génitales d'un journaliste critique. Et d'expliquer:
Ousman Sonko aurait lui-même participé à certains des actes décrits. Tout a commencé par un meurtre en 2000. L'ancien ministre gambien de l'Intérieur aurait tué un soldat qui menacait sa carrière. Il l'aurait attiré dans une embuscade et assassiné avec un commando de tueurs.
Par la suite, Ousman Sonko aurait violé la veuve du soldat, Binta Jamba, à plusieurs reprises. Pourquoi a-t-il agi ainsi? Sabrina Beyeler explique qu'il aurait agit ainsi pour la faire taire et imposer ainsi les intérêts du pouvoir. En effet, en tant que veuve d'un ennemi de l'Etat, elle représentait une menace.
La procureure fédérale souligne le caractère officiel des actes d'Ousman Sonko: il se serait toujours rendu chez sa victime en voiture de fonction, en uniforme et avec son arme de service.
Sabrina Beyeler insiste sur la cruauté des actes pour justifier la peine maximale. Pour les crimes contre l'humanité particulièrement graves, la loi prévoit une peine de prison à perpétuité. La procureure accuse Ousman Sonko à plusieurs reprises, de «crimes contre l'humanité». Elle explique qu'une peine encore plus sévère serait donc appropriée. Mais la loi ne le permet pas.
Une peine d'emprisonnement à perpétuité peut effectivement durer toute la vie. Mais après quinze ans, un tribunal examine une libération conditionnelle – et l'accorde le plus souvent. Le Conseil fédéral travaille actuellement à une réforme visant à prolonger ce délai à 17 ans.
Dans les prochains jours, les parties civiles et l'avocat de la défense vont présenter leurs plaidoiries et expliqueront pourquoi, selon eux, Ousman Sonko est innocent. Le Tribunal pénal fédéral rendra son jugement au printemps.
Sabrina Beyeler termine sa plaidoirie plus d'une heure avant la fin annoncée. Elle avait compté une marge de temps généreuse au cas où, comme elle le révèle à l'extérieur du tribunal, dans l'air printanier du Tessin.
Traduit et adapté par Tanja Maeder