Les dessous de la reprise forcée de Credit Suisse par l'UBS doivent rester secrets: c'est ce qu'a décidé le Conseil fédéral lors de sa mémorable séance marathon de la mi-mars. Le passage correspondant de l'ordonnance d'urgence stipulait que l'accès aux documents officiels était exclu. Le gouvernement a justifié cette clause de confidentialité par le fait que, dans le cas contraire, «le flux d'informations visant à garantir la stabilité des marchés financiers et à protéger l'économie nationale» serait menacé.
La fusion bancaire du siècle reste donc une boîte noire. Plusieurs journalistes se sont opposés à cette décision auprès du préposé fédéral à la transparence, Adrian Lobsiger, dont CH Media (dont watson fait partie). La rédaction a exigé de pouvoir consulter la correspondance entre la ministre des Finances Karin Keller-Sutter et l'Autorité de surveillance des marchés financiers, la Banque nationale ainsi qu'UBS et Credit Suisse.
Le préposé fédéral à la protection des données soutient maintenant, du moins partiellement, le droit de consultation. En août, il a pu consulter les dossiers secrets du département des finances de Keller-Sutter. Il a présenté ses réflexions dans une recommandation de 22 pages.
L'argumentation juridique est vaste et complexe. Lobsiger constate que le Département des finances ne peut pas, par principe, garder les dossiers de Credit Suisse sous clé. Pour lui, différents facteurs jouent un rôle, comme le moment où un document a été établi ou envoyé. S'il a circulé dans l'administration après l'entrée en vigueur de l'ordonnance d'urgence le 16 mars 2023 à 20 heures, la clause secrète du Conseil fédéral s'applique. Sinon, c'est du moins l'avis de Lobsiger, il tombe sous le coup de la loi sur la transparence.
Mais le Département des finances bloque également dans ce cas, invoquant les exceptions inscrites dans la loi sur la transparence. La Confédération argumente que les informations pourraient entraver la libre formation de l'opinion et de la volonté d'une autorité. Il s'agit ici du travail de la Commission d'enquête parlementaire (CEP), qui fait actuellement la lumière sur la chute de Credit Suisse.
La CEP ne peut pas travailler sans être influencée si l'opinion publique a déjà été perturbée par des articles dans les médias, argumente le Département des finances. De plus, les intérêts de la Suisse en matière de politique étrangère pourraient être touchés, car il deviendrait clair avec quels partenaires internationaux des discussions confidentielles ont été menées. La Confédération craint également des risques juridiques, le Département des finances constate:
Il existe donc un risque que des documents divulgués soient sortis de leur contexte et utilisés dans des procès contre la Confédération.
Adrian Lobsiger comprend la crainte que le travail de la CEP soit entravé par la publication des documents. Il recommande donc au Département des finances de reporter la publication des dossiers correspondants jusqu'à la fin de l'enquête. La présidente de la CEP, Isabelle Chassot (Le Centre), avait annoncé que le travail serait probablement terminé en mars prochain. Elle souhaite ensuite présenter le rapport final en automne. Ensuite, le Département des finances devrait accorder «l'accès complet», recommande Lobsiger.
Selon lui, l'argumentation avancée, selon laquelle les intérêts de politique étrangère et les intérêts économiques ainsi que les secrets commerciaux des banques sont également concernés, ne tient pas la route. Sur ces points, le Département des finances n'a pas suffisamment démontré la «densité de motivation requise». C'est pourquoi il recommande également de déclassifier directement les documents qui n'entravent pas le travail de la CEP.
Le Département des finances et les journalistes peuvent contester la recommandation du Préposé fédéral à la transparence. Dans ce cas, les tribunaux devront, un jour, se pencher sur la question de savoir combien la Confédération doit révéler sur les dessous du sauvetage du CS.
Même si le Préposé fédéral à la transparence veut faire la lumière sur cette affaire, celle-ci montre aussi les limites des règles de transparence en vigueur dans notre pays. Il pourrait s'écouler des années avant qu'un tribunal ne clarifie définitivement ce que la Confédération doit ou ne doit pas révéler en vertu de la loi sur la transparence. Ce n'est que grâce à la CEP que les dessous de la chute du CS seront examinés relativement rapidement.
Si des questions cruciales restent sans réponse après l'enquête parlementaire, il est clair que les documents susceptibles de fournir des réponses ne sont pas secrets en soi. Reste à savoir si les tribunaux seront du même avis.
En dehors des questions juridiques spécifiques, le préposé fédéral à la protection des données se montre critique à l'égard de la pratique du gouvernement qui consiste à annuler de plus en plus souvent l'accès aux documents officiels au moyen d'ordonnances d'urgence. Il rappelle que lors du sauvetage d'UBS, en 2008, il n'y avait pas de telles clauses secrètes. Cela rend leur nécessité «douteuse» lors de la récente fusion bancaire. Lobsiger doute également de la nécessité et de la proportionnalité de ces dispositions. Mais cela doit, à nouveau, être clarifié par les tribunaux.
Traduit et adapté par Noëline Flippe